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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

même dans la poésie IX d’Emmeran, où la Reine des cieux offre à un chanoine malade la neige céleste de son sein. » En 1742, il se forma en Italie la secte des Mammillari en l’honneur de cette beauté mariane. Les jésuites de la ville de Munich chantèrent particulièrement les beaux cheveux de la Sainte-Vierge voyez Bucher : Les Jésuites de Bavière avant et après leur abolition (1, 88).

Le père J. Pemble, président de la congrégation latine à Munich, apostropha en 1760 (dans sa pieta quotidiana) la Vierge comme suit : Maria est cellaria totius Trinitatis, échanson de toute la Trinité, et cela évidemment parce que les jeunes filles qui a Munich versent à boire chez les marchands de bière, se distinguent par leur beauté ; mais personne n’en fit un reproche à ce jésuite, pas plus qu’à Raphaël quand il choisit sa maîtresse pour modèle de la madone. La Sainte-Vierge comme déesse de l’amour possède, selon l’expression heureuse d’un chartreux français, la force de la chasteté pénétrative, ce que Bayle interprète par communicative, l’aspect de la Sainte-Vierge suffit déjà pour rendre chaste. Le père J. Pemble, qui est encore aujourd’hui en vogue chez les membres de la congregatio litteratorum de Munich, explique comment on doit adorer par exemple appliquer un baiser à ce nom sacré chaque fois qu’on y fait attention en lisant ; dire à la Sainte-Vierge qu’on voudrait volontiers lui donner sa place au ciel si elle n’en avait pas déjà ; de ne jamais manger de pommes, parce que la Sainte-Vierge ne s’est point rendue coupable du pèche d’Eve. C’est ici qu’on peut dire à J. Pemble : Amare et sapere vix Deo competit. — Elle est la personnification de l’affranchissement de tout dogme : Le Salva, sancta parens, ave, Maria, suffit parfaitement (p. 56), il est superflu de connaître la Trinité (Nv : VI), la lettre initiale du mot Marie a la force de bannir le démon. — Elle est la déesse de la nature ; son image est reflétée par des étangs, et croît sur des arbres en guise de fruit ; des animaux s’agenouillent devant elle, des poissons lui prêtent leur dos, des fourmis ailées arrivent d’outre-mer chaque année pour mourir sur l’autel de Marie (XXXIII) ; elle aime tant les collines, les montagnes où l’air est pur et embaumé, que souvent elle y est retournée quand on l’avait descendue dans l’église de la vallée. « Pourquoi dit l’Évangile (S. Luc 21, 21) : fuyez aux montagnes ? Parce que c’est là qu’elle demeure, sainte Marie, cette mère de la miséricorde, ce nuage rempli de rosée et de