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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

beaux-arts, l’art lui-même comme étant votre Dieu ; adorez donc Dieu dans l’homme, et vous adorez l’homme comme votre Dieu. Vous n’adoreriez point Dieu en ce cas, s’il était à vos yeux un être différent de l’homme, un être non-humain, anti-humain, inhumain. Vous effacez la différence entre Dieu et le soleil, en l’adorant sous l’image de cet astre ; en ce cas, Dieu est à vos yeux la lumière, la chaleur, parce qu’elle est pour vous ce qu’il y a de plus beau, de plus puissant. Vous ne savez pas ce motif logique, ce nerf logique pour ainsi dire, qui régit votre adoration ; mais si votre bouche n’en parle pas, vos actes le prouvent clairement. Plus tard, la théologie, la réflexion s’agitera : doutant de la divinité du soleil, elle fait d’un dieu primitif un dieu secondaire, et elle dit : Le soleil n’est qu’une allégorie, qu’un symbole. Les classes populaires, cependant, n’aiment point cette distinction érudite ; elles rejettent les symboles, elles maintiennent l’identité. — Application faite au dogme chrétien, l’adoration de l’homme par l’homme persiste malgré toute l’érudition de nos théologiens ; vous avez beau réclamer : « L’homme, ce n’est en quelque sorte que l’habit que Dieu a revêtu. » — Vous comprendrez sans difficulté que l’habit de Dieu doit toujours être en proportion avec Dieu ; or, l’habit étant humain, Dieu est humain aussi. Voilà le cercle dans lequel vous restez enfermés de par la logique : franchissez-le, si vous osez. Mais, dites-vous, comment donc distinguer l’adoration païenne de l’homme par l’homme, de cette adoration chez les chrétiens ? À ceci Je réponds : Le paganisme adore les qualités, le christianisme adore l’essence de l’homme. Les païens grecs et romains déifient un empereur, un héros, un philosophe, un politique, un artiste parce qu’il avait eu des qualités qui paraissaient dignes d’être vénérées ; les païens se gardent bien de déifier ce personnage purement et simplement parce qu’il est homme. Les chrétiens, au contraire, font abstraction de toutes les qualités spéciales, qui, à leurs yeux, sont bien au-dessus de l’essence humaine : ils disent avec Luther : « Être prince, roi, valet, servante, ce n’est pas quelque chose : être homme, voilà tout. »

Le païen est idolâtre en déifiant telle individualité, qui, au fond, n’est qu’une image de l’essence humaine : il est polythéiste, parce que les qualités à cause desquelles il déifie un individu humain, appartiennent aussi bien à d’autres individus. Le chrétien est mono-