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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

général. Le mystère est devenu une idée simple et commune à l’humanité entière.

Nous arrivons désormais a un fait quant à la prière ; chaque prière est en effet une incarnation de Dieu. Les hommes, quand ils lui adressent la prière, supposent indirectement l’unité de l’Être divin avec l’Être humain. Dire que le résultat des prières a été déjà déterminé d’avance et préétabli, décrété et scellé dans le plan général de la création du monde, n’est qu’une fiction, et en contradiction avec tout ce qu’il y a dans la religion de plus essentiel. En outre, cette fiction n’a pas de consistance, parce que Dieu ayant prémédité les prières et leurs résultats avant la création de l’homme, n’en serait pas moins un Être qui cède à la parole humaine : toute la différence reviendrait à un reculement du présent jusqu’aux ténèbres illusoires d’un passé anté-mondain, l’Éternité ; cette différence est nulle, car céder à quelque chose et avoir cédé sont identiques.

Un défaut de logique a fait décrier comme un anthropomorphisme peu digne de Dieu, la théorie de l’action de la prière. La force de la prière, c’est la force de l’âme, voilà tout ; or le Dieu auquel l’âme humaine s’adresse, est nécessairement censé avoir une âme analogue, donc l’âme s’adresse en priant à l’âme. Il n’y a là rien qui soit en contradiction avec la dignité de l’âme ou, ce qui revient au même, de l’amour.

On pourrait objecter à l’interprétation que je viens de donner, la différence qui existe entre l’incarnation chrétienne et celle des religions païennes. Les incarnations des divinités indiennes et grecques, pourrait-on dire des hommes déifiés : Jupiter prend même la forme d’un taureau, ce qui prouve que quand il se fait homme, cela n’est qu’une fantaisie, qu’un caprice ; tandis que l’incarnation chrétienne exprime d’une manière infiniment plus profonde l’union de l’Être humain et de l’Être divin. Je réponds à ceci : L’incarnation chrétienne contient déjà dans ses prémisses l’Être humain tout entier ; la divinité, qui aime l’homme, a un fils en elle ; ce qui constitue une analogie, une identité avec l’homme, et l’essence est ici comme au paganisme en proportion avec la forme. La théologie spéculative, qui ne fait que semer des contradictions pour en récolter des difficultés et des énigmes qu’elle est incapable de résoudre, a tort d’appeler son homme-Dieu une