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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

frances spirituelles, aux contradictions naturelles des contradictions contre-naturelles : comme par exemple la contradiction si poignante, si navrante entre Dieu et l’univers, entre la terre et le ciel la grâce et la nature, la chair et l’esprit, la raison et la foi, etc. Le gigantesque combat de l’église et de l’état n’était que l’expression extérieure, politique de toute cette longue série de contradictions, les plus impitoyables qui aient jamais déchire l’âme de l’homme. Les philosophes parmi les païens connaissent, il est vrai, la discorde qui existe entre raison et passion, entre volonté ou science et action (Aristote dans l’Eth. à Nicom. 7, 3 ; Bayle, dictionn. artic. Ovide), et entre esprit et chair ; le mot chair, caro, sarx, se lit dans Sénèque (epist. 74, il dit : « ne mettons pas la somme du bonheur dans notre chair ») et cela opposé au mot animus. Sénèque dit : « peccavimus omnes » (de Clem. 1, 6) : omnes mali sumus (de Ira 3, 26) : « Il n’y a personne d’entre nous qui puisse s’appeler innocent absous », ajoute-t-il (1, 14 de Ira). Les stoïciens savent fort bien que la racine du mal existe dans notre intérieur ; elle nous rend tous malades, mais malheureusement nous ne le savons pas (epist. 50). De te apud te male existima (68) ; connais-toi toi-même.

Les païens, eux aussi, connaissent un état primitif, où l’humanité avait été meilleure et moins malheureuse mais ils se le représentent sous l’image d’une concorde naïve et simple, qui n’a rien de transcendant ni de magique : Illi quidem non aurum, nec argentum, etc. etc. « Les mortels de cet âge primitif n’avaient ni de l’or, de l’argent, ni des pierres précieuses arrachées aux entrailles de la terre, et ils ne tuaient point les animaux ; l’homme fort n’avait pas encore mis la main sur l’homme faible, aucun avare n’avait encore caché son superflu en appauvrissant les autres hommes ; chacun avait pour les autres autant de soin que pour lui-même » : par erat alterius ac sui cura . En même temps les païens comprennent tout ce qu’il y avait d’imparfait dans cet état primitif : sed quamvis egregia illis vita fuerit et carens fraude, non fuerunt sapientes, « les hommes d’alors étaient des ignorants, car ce n’est point la nature qui donne la vertu, et pour devenir bon il faut que l’homme se donne de la peine », dit Sénèque (epist. 90) : non enim dat natura vitutem, ars est bonum fieri, et il ajoute qu’ils n’étaient bons et vertueux que par ignorance : « Quid ergo ? ignorania rerum innocentes erant, multum autem interest, utrum pec-