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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

(XIX, 37) ne t’étonnes-tu pas aussi de ce que, depuis le commencement du monde, il y avait parmi les païens des hommes plus distingués, plus savants, plus intelligents, plus versés dans les beaux-arts et les industries, que parmi les chrétiens, ce peuple de Dieu ? Mon cher Érasme, le Christ l’a déjà dit : « Les enfants du monde sont plus savants, plus prudents que les enfants de la lumière divine ; c’est un mot important. Je passe les Grecs, Démosthène et tant d’autres, et je ne trouve personne parmi les chrétiens que je pourrai comparer à Cicéron, quant à l’intelligence et quant à l’esprit, » Philippe Mélanchthon (et al. declam. 3. de vera invoc.) s’écrie : « quid igitur nos antecellimus ? num ingénio, doctrina, morum moderatione illos (paganos) superamus ? Nequaquam ; sed vera Dei agnitione, invocatione et celebratione praestamus » : ainsi ce réformateur religieux, qui n’en est pas moins un ancien chrétien, dit que les chrétiens ne sont supérieurs aux païens qu’à l’égard de la connaissance et de l’adoration de de Dieu, et point quant au génie ni aux mœurs. Ceci est un aveu important. [1] Le caractère le plus saillant du christianisme dogmatique est sans contredit le dualisme. Des contradictions se trouvent aussi dans le paganisme ; où n’y aurait-il pas des contradictions et des contrastes ? Mais, remarquez le bien, les contradictions du paganisme n’ont point un sens métaphysique, elles n’ont point été poussées jusqu’au dernier mot ; ce ne sont que des contradictions naturelles, matérielles, secondaires, et qui ne naissent, comme les péchés et les souffrances des païens, que de la sphère de l’irritabilité de l’organisme humain, tandis que celles du christianisme viennent du principe psychologique de la sensibilité de l’organisme. Certes, elles ont inquiété et labouré le cœur du païen, mais sans attaquer aussi sa tête, sans détruire cette célèbre tranquillité de l’âme (tranquilitas animi), cette énergie si naïve et grandiose que nous admirons aux anciens Hellènes et Romains. Le christianisme, qu’il faut distinguer de la doctrine de Jésus le Nazaréen, a ajouté à tant de maux naturels encore des maux fort superflus, fort inutiles, aux luttes nécessaires des luttes transcendantes, aux souffrances du corps des souf-

  1. Cette dissertation a été transcrite de l’ouvrage de Pierre Bayle, par M. Louis Feuerbach (1838, Ansbach) chap. I. le Catholicisme ou la Chair et l’Esprit. (Note du traducteur)