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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

La vraie religiosité ne saurait exister que là où la religion est libre, c’est-à-dire séparée de toute influence politique qu’elle pourrait exercer ou subir ; un État politique qui fait de la religion un impôt indirect, organise par là l’hypocrisie. Elle n’est pas libre, non plus, là où la mécréance est épouvantée par un enfer, et la croyance alléchée par un paradis. La crainte et l’espérance privent l’homme de sa liberté, et surtout en religion ces deux agents sont aussi vils que dangereux : c’est comme si vous versiez à quelqu’un de l’opium pour lui arracher sa parole d’honneur au milieu de ses rêves. Il s’ensuit que l’Église était parfaitement logique en employant la force brutale, et que le contraire aurait été une absurdité : vous vous adressez aux passions matérielles de la peur et de l’espérance pour infuser à l’homme la foi, veuillez alors ne pas vous arrêter à moitié chemin, et si la parole ne suffit plus, employez en gradation rationnelle les moyens matériels, depuis le simple coup de fouet jusqu’à la mort la plus compliquée et combinée de mille sortes de tourments.

Le but sanctifie les moyens, c’est une maxime bien antérieure à don Ignace de Loyola, elle appartient au christianisme primitif (pia fraus) et sert de base à l’apologie que l’évêque d’Hippone fait des poursuites contre les hérétiques[1].

Le concile de Constance, disent les protestants, a prononcé le mot : fides non est servanda haeriticis ; les catholiques le nient, et avec raison. Il n’y a point été prononcé dogmatiquement, mais il s’ensuit logiquement du principe de l’intolérance prêché par Augustin, qui est le chef historique reconnu de l’Église (Carranza Summa om. Concil., 326). 11 recommande à l’autorité politique comme un devoir l’executiun de tous les hérétiques, et les catholiques du temps de Bayle justifient par là même les martyres qu’ils font endurer aux reformés français (Nouv. de la Rép., 688 Dict. ,

  1. Certes, saint Aurèle Augustin, né et élevé dans le pays des Carthaginois latinisés, avait toute cette organisation intellectuelle et morale qui était l’héritage de ces Africains, et que Rome flétrissait par le mot panica fules : mais il ne faut pas pour cela oublier les autres chefs de l’Église, par exemple, ce Jean Damascène : « Quoi, Dieu est assailli par les Manichéens, Dieu est mis en pièces — et nous ne les tuerions pas par le feu ? Ou pyri katanalosomea, ouk apoktenooumen autous ? » (Note du traducteur.)