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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

méprisée, mais plus vous tenez à la vie, plus vous estimerez les auteurs divins, eux qui donnent tout ce qui est bon et beau. Ainsi, la distance de l’énergie active et magnifique des Hellènes à l’énergie passive et langoureuse des Indiens, ou celle de l’amour de la vie au mépris de la vie, n’est pas moins grande que la différence entre la mythologie hellénique et celle des peaux rouges, entre le père olympien des dieux et des hommes et la grande tortue ou le grand rat, qui est le grand père de certaines tribus américaines. Les chrétiens reprochent à ceux qu’ils appellent idolâtres, de ne pas adresser des prières au Créateur mais à ses créatures.

Ils exigent ainsi que nous fassions remonter nos sentimens de reconnaissance et de piété filiale jusqu’à Adam, et de là à son créateur ; mais dites-moi, comment voulez-vous qu’un individu humain étende son horizon individuel au-delà de son père et de sa mère ? Son individualité physique et morale est déjà tellement liée à la leur qu’il n’a pas besoin d’en chercher l’explication naturelle ailleurs. Certes, nous ne devons aucune piété filiale à Adam.

La série interrompue des causes ou choses dites finies est appelée par les athées de l’antiquité une série sans fin, et les théistes la disent limitée ; mais elle n’exige que dans l’imagination, comme le temps, dont on s’est accoutumé de dire qu’il se compose d’innombrables momens, qui sont attachés les uns aux autres sans la moindre différence.

En réalité, au contraire, cette ennuyeuse identité est perpétuellement interrompue par les changemens qu’y produit la différence individuelle des objets, et celle-là est toujours quelque chose d’absolu et de primitif. Les qualités individuelles des choses sont assez puissantes pour attirer notre intérêt ; le Persan de l’antiquité n’avait point besoin, en vénérant dans ses prières la vigilance, la fidélité, la constance du chien, de chercher à grands frais de raisonnement et d’imagination, une puissance supérieure qui a doté le chien de tant de qualités utiles et agréables : car le Dieu qui a créé le chien ami de l’homme, est en même temps le créateur du loup, ennemi de l’homme, et on se voit obligé, pour ne pas se laisser tuer, d’exterminer une créature en dépit du Créateur.

L’Être divin qui se révèle dans la nature, n’est rien autre chose que la nature divinisée et personnifiée. Les anciens Mexicains avaient, on le sait, parmi leurs nombreuses divinités un dieu ou une