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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

fond l’identité essentielle des deux comparés. Saint Augustin, dans son ouvrage contre les académiciens, qu’il écrit étant presque païen, dit (3,12) : « Le plus grand bien de l’homme c’est l’intelligence. » Dans son livre des Rétractations, au contraire, il parle en théologien chrétien : « J’aurais mieux écrit : c’est Dieu car l’esprit humain, pour être heureux, jouit de son Dieu comme du bien suprême. » Saint Augustin se trompe s’il croit que ceci constitue une véritable rectification ; il oublie que son essence ne peut être que là où se trouve son bien suprême.

Certes, elle n’est perceptible, compréhensible qu’à elle-même, cette sublime conscience de la conscience, qu’on nomme la conscience du moi. Ainsi, Dieu, comme l’être métaphysique, c’est l’intelligence, c’est la conscience de la conscience parfaitement satisfaite et tranquille, ayant trouvé la paix de l’éternel équilibre en elle-même : ou plutôt vice versa, l’intelligence, quand on la représente comme étant en paix éternelle, c’est le Dieu des métaphysiciens. Toutes les descriptions métaphysiques qu’on a données de Dieu sont donc des descriptions réelles, quand on les reconnaît dans leur logique intérieure.

L’intelligence, à ses propres yeux, est le critérium de toute réalité ; elle doit rejeter comme non existant tout ce qui est en contradiction avec elle, ou, – ce qui revient au même – ce qui est contre Dieu, contre son Dieu, c’est-à-dire contre elle-même.

La raison ne trouve qu’en elle-même la source comme le but de l’univers ; elle déduit donc nécessairement toute chose de son Dieu, c’est-t-dire de la raison. Elle n’adore Dieu que quand il harmonise avec elle ; on disait même dans l’époque de la plus stupide foi religieuse : « Le Tout-Puissant ne saurait faire ce qui est contre la raison », en d’autres termes : la puissance de la raison est plus puissante que la Toute-Puissance.

La raison c’est l’être indépendant et libre, basé sur lui-même, l’être autonome par excellence : un individu déraisonnable n’a pas de volonté, pas de caractère, et incapable de se servir des objets environnants, il devient objet, il devient moyen, instrument lui-même. « Je pense, dit Kant, et comme penseur j’ai la conscience que c’est mon moi qui pense, et point un autre être : d’où je conclus que je suis substance, et non attribut d’un autre être quelconque. »

Nous respirons l’air, et comme organisme respirant, je me sens,