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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

l’athée : tant que vous n’aurez pas démontré que la bonté, la charité, la justice et les autres qualités divines sont à mes yeux des êtres chimériques, des idées fausses et perverses, je ne suis point athée.

Le raisonnement de mon système me conduit à reconnaître que le sujet divin est déterminé par tout l’ensemble de toutes ses qualités divines déterminantes en d’autres termes, que ce dieu ne devient dieu qu’à la force collective de toutes les puissances qualitatives dont je l’entoure ; il en résulte, par conséquent, que les qualités sont primaires, et que le sujet divin est secondaire. L’origine de la religion s’oublie, quand on réunit plusieurs qualités diverses ou contradictoires en un seul être personnel, en relevant surtout la personnalité, et qu’on la décompose après, jusqu’à ce point qu’on transforme ses diverses qualités, ses désirs, ses passions, ses manifestations, en autant de divinités particulières[1]. Au reste, l’homme religieux incline continuellement à personnifier sous une forme divine quelconque tout ce qui a touché ses nerfs, frappé ses sens, excité son intelligence et son imagination ; il personnifie une couleur, un bruit, un ton, un corps d’une forme particulière, dont son intelligence ne peut pas se rendre compte : il les déifie, ce sont des fétiches pour lui. La religion embrasse ainsi tout, absolument tous les objets de la nature ; chacun à son tour a été un objet des divers cultes religieux, ou, si vous voulez, de la superstition. En d’autres termes, la religion n’a point quelque chose de particulier, elle ne reconnaît point des choses étrangères au monde naturel, étrangères à la conscience du Moi. À Rome, il y avait même des temples élevés à la Peur et à la Terreur, et les chrétiens ont personnifié les affections de leur âme et les qualité des choses ; ils ont fait de ces attributs de leur propre être autant de sujets indépendants, autant de puissances qui, selon eux, gouvernaient l’univers physique, intellectuel et moral. Leurs démons, leurs lutins, leurs fées, leurs sorciers, leurs anges, étaient autant de vérités sacrées, lorsque l’homme en totalité était sous l’empire de la religiosité sincère et indivise.

Pour obvier à l’identité des attributs divins et des attributs hu-

  1. Jupiter, par exemple, comme Jupiter Tonant, Jupiter Summanus, Jupiter Stator ; Vénus comme V. Verticordia, V. Libitina. Les mythologies se compliquent surtout par ces décompositions et recomposition. (Note du traducteur.)