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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

Eh bien ? cette distinction n’est pas inattaquable par la critique ; au contraire, la nécessite des attributs est la base sur laquelle s’érige. pour ainsi dire, la solennelle pyramide de la nécessité de leur sujet, et quand cette base disparaît, la pyramide s’affaisse aussi. L’homme, le sujet humain (Il est permis, ce me semble, d’appeler philosophiquement sujet tout ce qui existe, soit une substance, soit une personne, soit un être ou autre) n’est sujet qu’en sa qualité spéciale d’homme ; ôtez-en les spécialités, les qualités humaines, et l’existence réelle du sujet-homme s’évanouit. L’attribut, voilà la véritable source d’où vient le sujet ; l’attribut, c’est la vérité du sujet, et le sujet, c’est l’attribut personnifié. Le sujet, c’est l’existence ; l’attribut, c’est l’essence.

Ainsi, la certitude de l’existence de Dieu est entièrement subordonnée à la certitude des attributs, des qualités de Dieu ; les chrétiens reconnaissent comme certaine l’existence de leur Dieu chrétien, tandis qu’ils refusent d’ajouter foi à l’existence des dieux des polythéistes. Le païen, de son côté, ne pouvait, ne devait avoir le moindre doute sur l’existence objective de son Jupiter, dont les attributs lui paraissaient tout à fait divins et dignes du roi de l’Olympe. En d’autres mots, l’existence de ce Jupiter n’était basée que sur l’existence des attributs que les croyants lui prêtaient. Ce dont l’homme a reconnu la vérité, il se le représente aussi comme réellement existant ; primitivement, ce ne sont que les choses réelles qui sont à ses yeux des choses vraies, et il les oppose aux choses non réelles, aux choses idéales, aux songes, aux rêveries. L’homme, dans son raisonnement, commence par déduire le vrai du réel, de l’existence, et ce n’est que plus tard qu’il déduit l’existence d’un objet de la vérité de cet objet. Dieu, c’est l’essence de l’homme, mais cette essence considérée comme vérité absolue, comme la vérité de l’homme ; or, l’essence, la nature de l’homme peut être considérée sous plusieurs points de vue assez différents l’un de l’autre ; par conséquent, les dieux de l’homme différeront entre eux également, et cela de la même manière. L’homme qui s’est fait une idée, un idéal si vous voulez, de sa nature essentielle, conclut nécessairement de là à l’existence réelle du Dieu qui, nous venons de le dire, est précisément cette nature essentielle humaine, mais représentée comme image dans des proportions gigantesques et transcendantes.