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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

ne sont pas religieux, alors l’homme ne se rendrait jamais coupable d’idolâtrie, et Dieu ne serait jamais jaloux. Et pour finir ce chapitre d’un exemple un peu banal, mais, je l’espère, point déplacé : Si le grand objet de la religion, Dieu, était en effet un objet réellement et spécifiquement différent de l’être de l’homme et de la nature, en ce cas les hommes n’auraient jamais eu l’idée d’accommoder à un être humain ou naturel les sentiments religieux, et on ne pourrait jamais confondre les impressions de l’un avec celles de l’autre, pas plus que l’impression faite par une trompette avec celle que fait une flûte, dont l’une est évidemment séparée de l’autre par une différence qualitative et spécifique.


Chapitre II.

La Religion considérée en général.


Ce que je viens de démontrer sur la corrélation entre le sujet et l’objet en général, je le dois maintenir et appliquer à l’objet religieux en particulier, à Dieu.

En effet, dans les relations qui existent entre la conscience humaine et les objets naturels ou matériels, je distingue cette conscience en une conscience qu’on a de l’objet matériel et la conscience du moi, ou la conscience de la conscience. Dans la contemplation de l’objet de la religion, cependant, ces deux faces de la conscience ne font plus qu’une. L’objet matériel existe en dehors de l’homme, l’objet religieux existe dans l’intérieur de son âme ; l’objet matériel change de place, l’objet religieux ne le quitte jamais ; c’est l’objet le plus intime, et qui est inhérent à l’homme, tout à fait comme la conscience morale et la conscience du moi personnel ; Augustin a raison quand il s’écrie : « Dieu est bien plus rapproché de nous, plus parent de nous, et, par conséquent, plus facile à reconnaître que les objets physiques » (de Genesi ad literam, 516). L’objet de nos sens est, en quelque sorte, indépendant de notre jugement, indépendant de nos opinions, tandis que l’objet de la religion est un objet élu, l’être primitif, l’être suprême, l’être le plus sublime, et, par tant, un objet qui suppose un rai-