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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

l’athéisme que là où on lui dirait : « Le sentiment n’existe point. » Il en est de même quant à toute autre puissance humaine, faculté, perfection force, — n’importe le nom, — qu’on proclame comme étant l’organe essentiel et particulier d’un objet extérieur ; j’aurais pu choisir un autre exemple au lieu du sentiment.

Voilà donc ce qui est démontré : l’homme individuel ne peut point au-delà de la nature humaine en général, et même quand il imagine des individualités, des personnalités de ce qu’il appelle une espèce supérieure, il ne saurait faire abstraction de l’espèce humaine ; de sorte que les qualités élémentaires qu’il prête aux personnages de ses rêves mystiques sont toujours les attributs très positifs, très réels qu’il a trouvés dans la nature humaine. Il y a sans doute des personnalités sentantes, méditantes, voulantes, qui habitent les autres globes de notre système planétaire, mais par cette supposition astronomique nous ne changeons que le côté quantitatif de la question ; le côté qualitatif demeure immobile. En effet, les autres planètes subissent, comme la nôtre, les lois du mouvement ; Par conséquent aussi les mêmes lois des sensations, des sentiments, des idées. Christian Hugen dans sa cosmothéorie avait déjà dit : verisimile est, non minus quam Geomatriae, etc. « Il est probable que d’autres êtres encore sont susceptibles de jouir de l’étude de la géométrie, du plaisir de la musique ; aussitôt que nous supposons l’existence de créatures animées dans d’autres astres, créatures douées d’ouïe et d’intelligence, il serait étrange de croire que les mortels de cette terre seuls, etc. »

L’homme, il est vrai, porte ainsi en lui-même ce qu’il adore sous le nom de Dieu, de l’être suprême, mais non en lui comme individu. Aucun de tous les individus composant un genre, n’est égal en valeur à ce genre ; ceci est une vérité assez banale dans l’histoire naturelle. Mais j’insiste sur ce que l’individu humain seul a conscience de cet abîme infranchissable entre lui et le genre humain. La personne humaine, tourmentée par les innombrables faiblesses et les défauts rebutants de son individualité, désire vivement d’en être délivrée, c’est-à-dire de s’affranchir d’elle-même. Voilà l’origine de toute sorte de religion, de foi religieuse, de culte divin. Il ne faut pas oublier, en outre, que cette grande et belle nature de l’être humain, cette sublime et riche idée, apparaît à l’individu ordinairement sous la forme d’un individu ; ainsi, l’enfant s’incline