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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

l’individu supprime une passion détestable, se défait d’une vieille et mauvaise habitude, il n’arrive à cette victoire que par l’énergie de la volonté, de cette force morale qui s’empare de l’homme individuel et qui le remplit d’une sainte colère contre son propre moi et les misérables faiblesses de sa personne.

L’homme, sans objet, n’est rien. En effet, les grands hommes de l’histoire, ceux du moins qui méritent véritablement ce nom, ne connaissent qu’une seule passion dominante ; toute leur existence est vouée, sacrifiée, pour ainsi dire, à la réalisation du but auquel ils se sont donnés. Cet objet de leur activité n’est rien autre chose que leur moi devenu objet. Ainsi, dans la nature inanimée, le soleil est un objet commun à toutes ses planètes, mais il l’est d’une manière différente à Mercure, à Mars, à Saturne, à notre terre ; on peut fort bien dire que chacune de ces planètes a son soleil particulier à elle. Le soleil tel qu’il luit pour Uranus, n’a pour notre globe qu’une existence astronomique, scientifique, et nullement une existence physique ; le soleil, tel qu’il existe pour Uranus, diffère essentiellement du soleil tel qu’il est pour la terre.

La totalité des rapports donc, dans lesquels se trouve la terre au soleil ; la proportion, la mesure de la masse, du volume, de la densité, de l’intensité de la lumière et de la chaleur, tout ceci, prit dans l’ensemble, donne, ou plutôt, est la nature spéciale de notre planète elle-même. En d’autres termes, une planète quelconque possède dans son soleil à elle le miroir de sa propre nature planétaire et spéciale, le miroir de sa propre essence à elle.

Ainsi, nous le disons encore une fois, c’est en sentant, en observant les objets, que l’homme acquiert la conscience de lui-même, de son existence individuelle, de ses forces, de ses facultés personnelles. « Connais-toi toi-même,» lui crient le soleil, la lune, les astres. L’animal, au contraire, n’est saisi, n’est touché que par les rayons lumineux dont sa vie animale est immédiatement affectée, tandis que l’homme aperçoit même le rayon de l’étoile la plus éloignée.

L’homme est donc susceptible de cette joie sublime, intellectuelle, esthétique, qu’on nomme à juste titre joie théorique ; l’œil humain, qui, par son appareil optique, aperçoit, absorbe, inhale, qu’on me passe ce mot, la lumière universelle du ciel étoilé, lumière éternelle et innocente qui n’a rien à faire dans les besoins terrestres, l’œil humain, dis-je, rencontre sa propre source dans cette lumière