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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

moi, éprouve un changement qualitatif, se change jusque dans ses racines. Cela soit dit en passant, et sans vouloir jeter un mépris quelconque sur l’être des animaux ; l’espace me manque ici pour en dire davantage.

Eh bien ! quelle est donc cette essence de l’homme, dont il a conscience ? Quelle est la véritable humanité, pour ainsi dire, dans l’homme ? Je réponds que c’est la raison, la volonté, le cœur. La puissance de réfléchir, de méditer, c’est la lumière de l’intelligence ; la puissance de la volonté, c’est l’énergie du caractère. La puissance du cœur, c’est l’amour. Ces trois puissances sont les trois perfections de l’être humain ; perfections absolues, c’est-à-dire au-delà desquelles il n’y a rien, forces suprêmes, qui forment en même temps la base de son existence tout entière. L’homme a pour but l’exercice de son intelligence, de son amour, de sa volonté ; or, le but, le véritable but d’un être est toujours aussi sa racine. Le but de la raison c’est elle-même ; nous pensons pour penser ; nous aimons pour aimer ; nous voulons pour vouloir, c’est-à-dire pour être libres. Cette trinité humaine ou humanitaire existe donc, si je puis m’exprimer ainsi, pour elle-même, à cause d’elle-même ; cette trinité, je l’appelle absolue, divine, parce que sans elle, l’homme individuel ne serait rien. Il ne faut donc point dire l’homme possède ces trois forces-là ; ces trois forces, comprises sous un nom unitaire, c’est l’homme.

En effet, il se trouve sons leur empire, et quel homme raisonnable pourrait résister à la raison ? quel homme aimant à l’amour ? Ne sommes-nous pas assujettis à la puissance de la musique, qui n’est rien autre que le langage du sentiment ? Le son, le ton musical n’est-il pas du sentiment qui se communique ? L’amour, n’est-il pas plus fort que l’homme individuel ? tellement qu’il pousse l’homme à se lancer dans l’abîme de la mort. Le penseur n’éprouve-t-il pas la suprématie absolue de la raison, de la méditation de la réflexion ? Elle se manifeste dans l’intérieur du cerveau, sans bruit, en secret, mais aussi irrésistible que l’amour le plus fougueux. Nous méditons, nous descendons dans les profondeurs sacrées de la réflexion, tout autour de nous disparaît dans l’oubli, et nous-mêmes nous y disparaissons. Certes, cet enthousiasme scientifique, c’est le plus beau triomphe que la raison puisse célébrer sur les penseurs, en les dominant, en les absorbant tout entiers. Et quand