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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

se confond sa vie intérieure avec sa vie extérieure. Cette vie intérieure de l’homme, c’est sa vie mise en rapport avec le genre humain, avec l’essence générale de l’homme. L’homme réfléchit, pense en d’autres termes il converse, il discute avec lui-même. Cette fonction vitale se rapporte au genre, elle élargit l’horizon de l’individu : et, remarquez-le bien, elle peut être exercée par cet individu sans le concours d’un autre individu humain, tandis que l’animal, quand il veut manifester une fonction vitale se rapportant à l’espèce, au genre, est nécessairement forcé de réclamer l’assistance d’un autre animal. L’homme est à la fois son propre moi et toi ; il est ego et son alter ego à la fois ; précisément parce que l’individu humain a la capacité de faire un objet à sa méditation et à son activité, non-seulement de son individualité isolée, mais aussi de son genre, de son essence humaine.

La religion en général se trouve être identique avec l’être humain, avec l’essence humaine, avec la conscience humaine, cela veut dire avec la conscience que l’homme a de son être.

La religion est la conscience que l’homme a de l’infini ; par conséquent, elle ne peut être autre chose que la conscience qu’il a de son être infini. En effet, une individualité réellement finie, circonscrite, renfermée dans des bornes et des limites ne saurait jamais avoir conscience d’un être infini. Ce qui fait sa limite, cela même fait aussi la limite de sa conscience ; ainsi une chenille, dont l’existence se borne aux végétaux d’une seule espèce, ne saurait avoir une conscience au-delà de ces végétaux-ci. Cette chenille distingue sa plante parmi toutes les autres plantes, voilà tout nous ne dirons point que cet animal possède, proprement parler, une conscience d’elle-même. Nous disons qu’elle a de l’instinct. Du reste, c’est déjà Gassendi qui a écrit : « Objectum intellectus esse illimitatum sive omnium rerum, ac ut loquuntur, omne Ens ut Ens, ex eo constat, quod ad nullum non genus extenditur, nullumque est cujus cognoscendi capax non sit ; licet ob varia obstacula multa sint quae re ipsa non norit. »Avoir conscience de l’infini, signifie avoir conscience de l’infini de la conscience.

Des matérialistes disent quelquefois : « L’homme ne diffère de l’animal que par la conscience, et l’homme est un animal doué de conscience » ; ces matérialistes-là sont assez pauvres d’esprit. Ils oublient, en parlant ainsi, qu’un être qui naît à la conscience du