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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

et à ses caprices. C’est là cette fameuse croyance qui fait venir les miracles, non des dieux, mais de l’homme ; il méprise hautainement la nécessité naturelle et y opère tout ce qui est contre nature. C’est là une incrédulité contre la nature présente ; elle marche d’accord avec l’incrédulité contre l’histoire du passé. Toute l’histoire des Grecs, Romains, Perses, Hébreux, leur mythologie comme leur histoire nationale, jusqu’à la phrase, jusqu’au mot, jusqu’à la syllabe et à la simple lettre, a désormais un double sens tout y reçoit une signification intérieure, qui en est l’essence, et une lettre morte qui en est leur réalité. On dirait que les hommes d’alors avaient entièrement perdu la vue et l’ouïe, et en général le sens pour la réalité et le présent ; ce qui est réellement vrai palpable n’existe plus pour leurs sens, ils ne font plus que de mentir ; incapables qu’ils sont de comprendre une chose réelle, leur esprit n’y trouve plus aucune signification. Et voyez là un singulier spectacle : toutes les religions vont confluer en une seule, toutes les diverses manières de voir sont absorbées dans une seule : la conscience de soi-même, dira-t-on désormais, c’est l’être absolu sous la forme d’un homme réel ; c’est désormais l’homme unique, le Christ, mais point encore l’homme en général, ni conscience de soi-même en général. À compter de cette époque, cette conscience est devenue l’âme du monde. L’unique, lui seul, est tout » (Hist. de la philosophie, III, 6) — « Les mythes font partie de l’éducation du genre humain, mais aussitôt que l’idée pensante est devenue forte et disciplinée, elle n’en a plus besoin » (II, 189). « La biographie de Pythagore, elle aussi, nous apparaît à travers le milieu des idées qui avaient cours aux premiers siècles de notre ère. C’est le même goût dans lequel, plus ou moins, la vie de Jésus-Christ est racontée : elle aussi se passe sur le domaine de la réalité la plus vulgaire, et point dans un monde poétique ; c’est un mélange de fables et d’aventures merveilleuses, c’est comme un hermaphrodite d’idées occidentales et orientales. Il y a de l’histoire des mages, de la confusion du naturel et du non-naturel, de la mysticité mesquine, des chimères pâles, comme on en rencontre chez des gens fantasques qui n’ont pas une forte et belle imagination. Cette biographie est évidemment faussée, et on y a joint tout ce que le sombre et triste allégorisme des chrétiens a été capable d’engendrer. Ainsi, les miracles que des biographes récents rap-