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LE MANCHOT DE FRONTENAC

son de la mère Benoit. Elle rentra suffoquée par l’angoisse, et raconta l’horrible saccage qu’elle avait découvert à son domicile. La mère Benoit frissonna et s’écria :

— Si c’était le diable qui serait entrée chez vous !

Hermine pleurait à chaudes larmes en pensant aux objets si chers à son cœur qu’une main barbare avait brisés, en songeant à l’image de la Vierge qu’on avait déchirée… Son sein se souleva d’horreur.

Mais à la fin la mère Benoit à tranquilliser la pauvre jeune fille, en l’assurant que Monsieur Cassoulet saurait bien, en la rendant heureuse, lui faire oublier ce malheur.

Au nom de Cassoulet Hermine sourit. Puis elle s’écria, rougissante :

— Mais comment pourrai-je me rendre au rendez-vous ? Comment pourrai-je aller entendre l’office à la cathédrale ce soir avec cette robe ?

La mère Benoit sourit :

— Mademoiselle, dit-elle, soyez tranquille. Je vous prêterai mon corsage et ma jupe de mariage, et je vous garantis que vous serez parée comme une marquise. Quand j’avais votre âge, j’avais la même taille que la vôtre, et ça vous ira si bien qu’on pensera que c’est à vous-même. Venez dans ma chambre, je vais vous montrer ça !…

L’instant d’après la mère Benoit aidait Hermine à se parer pour l’office à la cathédrale et son rendez-vous avec Cassoulet.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Hermine n’était pas seule à se parer pour le service religieux et pour son rendez-vous d’amour : au château, Cassoulet donnait à sa toilette un soin et une recherche comme jamais auparavant.

Mais il n’était pas seul, lui non plus, à s’astiquer : il était un autre personnage qui s’apprêtait à paraître à la cathédrale, et c’était Maître Turcot ! Mais comment cela se faisait-il ? Nous allons voir.

Nous savons que le suisse s’était réfugié dans le clocher avarié de la cathédrale, pour échapper à la foule du peuple ameutée contre lui. Quand le peuple eut pris le chemin du Château Saint-Louis avec Cassoulet porté en triomphe. Maître Turcot demeura dans son gîte pour y attendre l’entre chien et loup et regagner son logis. Or, il était là fort mal à son aise et très inquiet, lorsque tout à coup il aperçut Hermine qui, suivie du gamin de la mère Benoit, traversait la Place de la Cathédrale et gagnait l’impasse. Maître Turcot tressaillit d’une joie indicible : il revoyait, il retrouvait Hermine qu’il avait crue un moment perdue pour toujours. En la voyant s’engager dans l’impasse, il eut l’idée de descendre de son perchoir et de courir après la jeune fille. Il n’osa pas, parce qu’au même instant des citadins passaient sur la Place. Il attendrait que celle-ci fût déserte, et il était certain de trouver plus tard sa fille à son domicile de l’impasse. Mais il fut secoué par un trouble énorme en revoyant peu après Hermine revenir de l’impasse et, toujours accompagnée du petit Paul, traverser la Place et disparaître dans une ruelle proche.

Malgré son désappointement, le suisse sourit.

— Bah ! se dit-il, je sais toujours bien où elle perche, la gamine ; car, si je ne me trompe, ce galopin est celui de la mère Benoit. Mais que diable était-elle allée faire à l’impasse ?

Voilà ce que Maître Turcot ne pouvait deviner. Mais il était certain d’une chose : de tenir Hermine !

Mais allait-il aller la chercher de suite ? C’était encore un problème qui demandait réflexion. Ce qui l’intriguait surtout, c’était de penser que sa fille avait cherché un refuge chez la mère Benoit. Pourquoi ?… Avait-elle décidé d’abandonner son père ? Et si Maître Turcot allait la chercher là, est-ce qu’elle consentirait à le suivre ? Il est vrai que le suisse pouvait user de son autorité paternelle, et que nul ne pouvait s’opposer au droit du père sur son enfant ! Mais si par hasard le père Benoit était dans sa maison, est-ce qu’il ne pourrait pas protéger Hermine ? Est-ce qu’il n’allait pas ameuter toute la cité contre Maître Turcot ? C’était à craindre.

Après réflexion, Maître Turcot se dit :

— Je vais attendre à demain avant d’aller chercher Hermine, d’ailleurs je sais toujours où elle loge. Demain, j’aurai pris mon parti. Ah ! si je pouvais seulement mettre la main sur Cassoulet !

Cassoulet !…

Ce nom brûlait la tête et le cœur de Maître Turcot.

— Voyons ! se dit-il, il y a ce soir action de grâces à la Cathédrale, et il est bien probable que Monsieur Cassoulet viendra avec l’espoir d’y rencontrer Hermine. Je pourrais donc, en sachant m’y prendre, faire d’une pierre deux coups : me venger de Cassoulet et reprendre Hermine !

Le suisse sourit. Et longtemps il médita son projet de vengeance.