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Il faut quelque courage pour avouer comment il a fini par voir le jour. Dix fois interrompu et chaque fois par un long intervalle, il ne fut jamais abandonné tout à fait, même alors que l’auteur devait plus que personne désespérer d’en voir le terme. Mais l’œuvre de jeunesse menacée d’une venue trop prompte[1] s’était changée en un fruit tardif de l’âge mûr. Il a fallu l’écrire page à page et, comme on disait au xvie siècle, succisivis horis, en thésaurisant les quarts d’heure perdus, en s’obstinant pendant des années à ajouter soir et matin quelques moments studieux à des journées qui n’étaient pas celles d’un oisif. On voudrait pouvoir se dire que ce sont là des confidences superflues et que


… le temps ne fait rien à l’affaire.


Mais le lecteur en jugera sans doute autrement, il n’aura pas de peine à découvrir les défauts et les raccords d’une trame tant de fois et si laborieusement renouée. Et c’est pourquoi on plaide ici les circonstances atténuantes. Si un livre n’est jamais trop mûrement pensé, il peut, être trop lentement écrit, et ce n’est pas impunément qu’un auteur vit vingt ans avec son héros même par intermittence.


Et pourtant j’ai confiance que Castellion arrive chez nous à son heure, qu’à tout prendre ce pieux et libre penseur, cet apôtre.de la tolérance a plus de chances aujourd’hui qu’il n’en aurait eu il y a vingt ou vingt-cinq ans, de trouver en France les sympathies qu’il mérite.

Il semble que la tolérance soit une idée bien vieille déjà,

  1. On peut lire dans une note, p. 13 de la Notice sur le collège de Rive, par M. E. Bétant, Genève, 1866, in-8, avec une mention du travail de M. Mæhly de Bâle : « La France aura prochainement une monographie du même genre due à M. Ferdinand Buisson »