Page:Ferdinand Buisson - Sébastien Castellion - Tome 1.djvu/342

Cette page n’a pas encore été corrigée

324 i SEBASTIEN cASTELL1oN. Ceci (pense-ie bien) ne plaira pas à tous, principalement a gens de lettres, qui sont tant accoutumés au grec et latin, qu’il leur semble que quand ils entendent un mot, chacun le doive entendre. Mais il faut sup- porter e soulager les idiots, principalement en ce qui et écrit pou1· eux en leur langage. Quand on dit circoncir ou catechiser, un homme de let- tres entend bien que c`êt: maisjl ne l’entend pas comme Français, mais bien comme Latin ou Grec, par la vertu du mot latin circuneidere, e du Grec catechizein. Mais un idiot travaillera long tems auant qu’il le puisse entendre : la ou si vous lui dites rongner e enseigner, il entendra du pre- mier coup: e quand il orra qu’il faut « rongner les cueurs », il comprendra incontinant qu’il faut ôter e trancher du cueur ce qui est manuais, laquelle chose il ne peut aisément comprendre par le niot circoncir. Item si vous lui dites la céne du Seigneur, il ne sait que c’êt, sinon qu’il pense que ce mot « céne » signiüe ce qu`il voit faire en la cène, quoi que ce soit. Mais si vous lui dites 1 le « soupper » du Seigneur, il entend bien que c’ût, e peut plus aisément comprendre que veut dire Christ, quand il dit (Apoc., iii) : « ie frappe à la porte : qui m’ouvrira, i'entrerai ches lui e soupperai « auec lui, e lui auec moi... ». Ainsi la enco1·e, comme dans la Bible latine, mais par d'au- tres moyens, faire entendre, faire comprendre, faire voir et toucher, voila l’ambition du traducteur et la raison avouée de ses audaces philologiques; c’est en même temps l’expli— cation du véritable effet de « réalisme >> qu’il produit. Castellion a le sens de la réalité, qui n`est pas le sens du pittoresque, mais qui le fait naître. En lisant la Bible, il s'est· transporté, autant que la chose était possible it un homme du xvi° siecle, dans l’antique Orient; il a vu ces patriarches, ces caravanes en marche dans le desert avec leurs troupeaux, ces campements de nomades qui tremblent au pied du Sinaï ou veillent autour de l’arohe sainte, et plus tard ces bandes de guerriers farouches qu’animent au combat les terribles chants de guerre de la prophetesse. Et dans sa traduction il s`est efforcé de rendre a tout ce monde sémitique la vie et la couleur. Seulement, n'ayant pas plus de critique que ses contemporains, il fait en histoire ce qu’ils font en peinture, même dans leurs plus merveilleuses peintures, qui sont aussi les plus naïves : il habille de costumes contemporains tous ces personnages de la legende. Avant tout, il faut qu'ils 'vivent, que ce ne soient plus des figures sur fond d’or, des images hiératiques, mais des êtres que nous 11ous représen- tions au moins par analogie. Et comme plus tard Berruyer