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elle est connue, l’imprimerie l’a mise dans toutes les mains. D’autre part il ne peut pas encore posséder cet équilibre d’esprit, cette mesure dans les affections et cette maturité dans les jugements qui sera presque une qualite ordinaire un siècle plus tard, après que des luttes religieuses et civiles un ordre régulier sera sorti, après que tous, assagis par la fatigue, seront devenus tout ensemble un-peu sceptiques et tres prudents. C'est alors qu’on se réfugiera dans les lettres comme en un lieu de paix, retraite aimable et sure où de bons esprits se trouveront a l’aise, assurant que rien n’y manque a leur bonheur. C’est alors que, pour les en arracher, il faudra une sorte de phénomène religieux, le coup de foudre de Pascal, un effet de méditation comme chez les solitaires de Port-Royal, une douleur comme celle de Rancé.

Tout autre est la situation des esprits au commencement et encore au milieu du XVIe siècle. Croyances, habitudes, traditions et sentiments, tout fait encore de la religion la grande affaire de la vie, la préoccupation première et dernière. La religion partout est fr fleur d’ame, ses formules sont sur les levres, la mémoire en est nourrie, la langue en est pleine et, en même temps, le coeur y est vraiment attaché, l’esprit vraiment soumis. Les plus hardis sont encore des croyants; l’esprit critique n’est pas né; il y a des gens qui blasphèment, quiprofanent les choses saintes, qui ont l’audace du sacrilège, mais ils n’ont pas l’idée de la négation scientifique ou du doute philosophique. Ils ne sont pas sortis du moule où le moyen age les a façonnés. Essayent-ils de se débattre, de se dégager? C’est une révolte, cé n`est pas une émancipation. Quelques—uns s’insurgent contre l’Église, contre ses saints, ses pretres, ses miracles. Et ils nient tout, Et peu près avec le même accent que certains athées insultant Dieu, tant ils y croient! Mais en dehors de ceux-la, qui sont un très petit nombre, toute la société, même la plus lettrée et la plus laïque, met encore les intérêts religieux au premier rang; c’est ce qu’il faut bien reconnaître pour s`expliquer les événements de chaque vic et ceux du siècle : avec les premières clartés de l’esprit moderne, les hommes d’alors ont encore le caractère du moyen age. Sur toute autre chose ils admettent