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PRÉFACE. xiij


mière, et celle qui paraîtra à plusieurs la plus spécieuse et la mieux fondée, n’est qu’un éfet du préjugé. Elle est tirée du lieu où cet Ouvrage a été composé et où il s’imprime. Je sais que, dans la Capitale, on a les plus terribles préventions contre les Provinces méridionales, pour tout ce qui regarde le langage ; et l’on me le mande encôre tout récemment. Mais ces préventions n’ont tout au plus quelque fondement que pour la Langue parlée et la Prononciation ; et nous avons pris sur cet objet toutes les précautions possibles pour ne pas nous tromper, et pour ne pas induire en erreur ceux, qui consulteront ce Dictionaire. Nous nous sommes défié de nous-mêmes ; et nous ne disons rien de notre chef. Ce n’est pas nous qui parlons, ce sont les Gramairiens et les Critiques les plus estimés. C’est l’Académie Française elle-même, dont nous avons recueuilli les principes, les décisions ; et tout notre travail a consisté à apliquer à chaque mot les Règles générales de la Prononciation ou leurs exceptions ([1]). Si nous ne citons pas à tout prôpos nos guides et nos garans, c’est que cela serait fort ennuyeux et tiendrait trop de place dans l’ouvrage. Du reste, on peut s’en fier à nous pour l’attention à ne rien dire de nous-mêmes sur cet article. = C’est une erreur de croire qu’on puisse puiser les principes de la Prononciation dans la conversation des persones, qui ont la réputation de bien parler. La méthode n’est ni sûre, ni facile. Il y a tant de variété dans les opinions et dans la pratique entre les diférentes persones, et souvent tant de variations dans la même, dificiles à saisir dans la liberté et la rapidité de la conversation, qu’on se troûve dans le plus grand embarrâs, soit qu’on observe, ou qu’on consulte. En tout câs, d’aûtres ont observé ou consulté pour moi, et mieux que je ne pourrais faire moi-même ; et l’on doit plus se fier à ce que je dis d’après leurs observations, qu’à ce que je dirais d’après les miennes, si j’avais travaillé dans ce centre du goût et de la Litératûre, hors duquel on croit qu’il n’y a pas de salut. = Quelle que soit donc la Prononciation personelle de l’Auteur de ce Dictionaire, on ne doit pas prendre de la défiance de son travail sur cette partie. On peut être un bon Musicien et un mauvais Chanteur ; et avec une voix faûsse, rude et désagréable, noter très-exactement l’air le plus dificile. = Quant à la Langue écrite, n’a-t-on pas dans les Provinces les mêmes secours que dans la Capitale ; et ayant les mêmes Livres ne peut on pas faire les mêmes études ? Que pensera-t-on, si nous ôsons dire qu’on y a peut-être moins d’obstacles et plus d’avantages de côté-là ? Ne regardera-t-on pas cette proposition comme un Paradoxe insoutenable ? Cependant, sans parler des jargons des Sociétés de la Capitale, dont on aperçoit l’influence dans un grand nombre d’Écrits modernes, parceque les Écrivains de nos jours sont plus répandus dans le Monde, que les Gens de Lettres ne l’étaient aûtrefois ; à en juger par les discours de ceux, qui y ont fait un assez long séjour, et qui se sont étudiés à y prendre le bon ton et le bon air en tout genre ; par les lettres qui en viènent de la part même des persones, qui pâssent pour avoir des lettres, du monde et du goût ; et surtout par les nouvelles productions, qui sortent de ce centre si célèbre de la Litératûre, il paraît qu’on y parle toute sorte de Langues ; et qu’un Litérateur y doit être bien embârrassé à découvrir, parmi tant de variantes, la véritable version. = Dâilleurs, la présomption qu’inspire ce séjour si vanté, et les préventions, les préjugés de toute espèce, dont on y est environé, peûvent contribuer à égarer et à faire prendre pour l’usage universel ce qui n’est que le goût particulier des Coteries qu’on fréquente. Je ne suis pas seul

  1. (*) C’est ce que nous avons fait conaître depuis peu dans la Réponse à une Lettre écrite de Paris par un Littérateur, qui s’est masqué sous le nom de Philandre. Il prétend qu’on prononce les deux mm dans Grammaire, les deux tt dans Littérature, les deux nn dans innombrable, etc. Nous ne lui avons répondu qu’en citant nos guides, et nos garans, Duclos, M. de Wailli, etc. qui ont une doctrine et une pratique contraires à la sienne. Nous n’avons pas dit, comme M. Philandre : c’est ainsi que nous prononçons ; mais nous avons dit : c’est ainsi que d’habiles Gramairiens, qui ont fait une étude particulière de la Langue, nous avertissent de prononcer.