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viij PRÉFACE.

Mais la réforme la plus nécessaire, et la moins embarrassante en même temps, c’est celle, qui regarde l’aplication de l’accent circonflexe et de l’accent grâve sur un grand nombre de voyelles. Le premier n’était originairement destiné qu’à marquer les voyelles longues et les e fort ouverts : mais quand on comença de suprimer certaines lettres, qui ne se prononçaient plus, comme, par exemple, l’s dans teste, tempeste, etc. ou marqua cette supression par l’accent circonflexe, et l’on écrivit tête, tempête, etc. Cet accent était mis fort à propôs dans les mots de cette terminaison, parce que l’e y est long et ouvert : mais en l’employant à toutes les supressions de l’s, on a mis de la confusion dans l’Ortographe et dans la Prononciation. On s’est servi de cet accent sur des e, qui sont fermés, et sur des voyelles qui sont brèves ; et parce qu’on écrivait aûtrefois mesler, il a vescu, il est vestu, costeau, etc. on a cru devoir écrire mêler, il a vêcu, il est vêtu, côteau, etc. En même temps, on avertit de faire longues toutes les voyelles, qui sont accentuées du circonflexe, et de prononcer en e ouvert tous les e, où cet accent se troûve. Cette Ortographe ainsi employée sans règle et même contre la règle, induit donc en erreur sur la prononciation, et ne doit être attribuée qu’à un usage aveugle et inconséquent. Nous croyons donc être autorisés à ne mettre l’accent circonflexe que pour exprimer l’e ouvert et la quantité des syllabes : et à écrire méler, vétu, coteau, quoique nous écrivions, il mêle, ils vêtent, côte, etc. pensant que les signes de la Prononciation sont plus utiles dans l’Ortographe que ceux de l’étymologie. Plusieurs Auteurs et Imprimeurs, et l’Académie elle-même nous en ont doné l’exemple pour certains mots ; et autant que nous l’avons pu, nous l’avons étendu à tous ceux, qui sont dans le même câs. = Il serait à souhaiter aussi qu’on consacrât entièrement l’accent circonflexe à cet usage (de marquer l’e ouvert et long) et qu’on écrivît procês, accês, succês, etc. n’employant l’accent grâve que pour exprimer l’è moyen et pour distinguer certains monosyllabes d’aûtres, qui leur resemblent, à, là, où, etc. = A propôs d’è moyen, on peut dire qu’il n’est pas encôre bien conu. Pendant très-long-temps, on n’a distingué dans l’Ortographe que trois sortes d’e ; l’e ouvert qu’on marquait du circonflexe, tête, ou du grâve, accès ; l’e fermé qu’on désignait par l’aigu, témérité ; et l’e muet qu’on ne chargeait d’aucun accent, gloire, fortune, nous recevons, etc. Mais la Prononciation en exprimait un quatrième, qu’on a ensuite apelé moyen, parce qu’il tient le milieu entre l’é fermé et l’ê fort ouvert. On n’avait pas de règle pour représenter dans l’écritûre cet e moyen. Les uns écrivaient reméde, privilége, pére, thése, etc. avec l’accent aigu, ce qui faisait croire que l’é est fermé dans ces mots, quoiqu’il ne le soit pas. D’aûtres, voyant bien que cet accent aigu ne convient pas dans ces ocasions, et n’ôsant pas employer l’accent grâve, avaient pris le parti de ne point mettre d’accent sur cet e, et écrivaient remede, privilege, pere, these, etc. ce qui était un autre inconvénient, puisqu’ils confondaient par là l'è moyen avec l’e muet. Enfin, vers le milieu du siècle, on a comencé à employer l’accent grâve pour représenter cet e moyen dans les mots terminés en èce, èche, ède, ègle, èle, ème, ène, ère, èse, ète, ève, etc. On écrit donc, nièce, brèche, remède, collège, règle, zèle, crème, cène, père, thèse, prophète, brève, etc. On n’a pas encôre étendu cette accentuation aux e suivis d’une double consone, parce qu’on a cru que cette consone redoublée indique assez que l’e n’est ni muet, ni fermé, ni fort ouvert. On écrit donc encôre sans accent, immortelle, musette, tendresse, suspecte, sexe, etc. Pour les aûtres terminaisons, la pratique de marquer l’e d’un accent grâve n’est encôre ni générale, ni uniforme. Les Auteurs et les Imprimeurs le placent sur certaines pénultièmes, et continûent à mettre l’aigu sur d’aûtres, quoique la raison de mettre l’accent grâve soit la même pour toutes. Les Éditeurs même du Dictionaire de l’Académie emploient tantôt l’accent grâve, comme dans brèche, tantôt l’accent aigu, comme dans collége et une foule d’aûtres. Voy. E. n°. 1°. = Il me semble qu’on n’est pas


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