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PRÉFACE. vij


conservant l'anciène ortographe, qui multiplie les caractères, soit qu'on les prononce, soit qu'on ne les prononce pas, on est dispensé de cette étude et de cette atention, et l'on cache facilement ou son ignorance ou ses distractions.

Quoiqu'il en soit de la justesse de ces réflexions et de la vérité de ces conjectûres, la Réforme de notre Ortographe est impraticable dans sa totalité ; et quand tout le monde s'acorderait à y travailler de concert, ce qui est impossible, on ne pourrait y réussir que par des éforts successifs ; et il faudrait plus d'un siècle pour achever l'ouvrage. Mais il est des changemens, qui sont sans inconvéniens, et qui sont aussi faciles qu'utiles ; et c'est à ceux là que nous avons borné nos tentatives. Elles consistent seulement à suprimer le plus souvent les doubles consones, quand leur réduplication n'est pas exigée par les règles de la Prononciation ; et à marquer, le plus souvent aussi, d'un accent circonflexe les voyelles longues. Encôre, quant au premier article, pour ne pas mettre dans l'embarras les Lecteurs, nous conservons l'anciène Ortographe dans l'ordre alphabétique, et nous n'introduisons la nouvelle que par des renvois, des exemples et des remarques. Ainsi l'on troûve en titre : Accommodé ou acomodé ; Accueil ; ou acueuil ; affirmatif ou afirmatif, etc. etc. On aura donc le choix des deux Ortographes ; et chacun choisira selon son goût. Nous ne prétendons faire la loi à persone ; cela serait trop ridicule. Nous faisons seulement, avec modération, à ce qu'il nous semble, et avec tous les ménagemens possibles, des tentatives, que nous croyons utiles, et où d'aûtres n'ont échoué, que parce qu'ils les ont faites sans prudence et sans discrétion. = Là-dessus, nous prions les Lecteurs de vouloir bien distinguer l'Ortographe de l'Auteur de celle du Dictionaire. Quand c'est nous, qui parlons, nous employons notre Ortographe. Quand nous citons les Auteurs, nous nous servons de la leur. Dans l'ordre alphabétique des mots, nous mettons l'une et l'autre Ortographe ; l'anciène et la nouvelle. Mais bien loin que ces diférences puissent être choquantes et nuisibles dans un Ouvrage de ce genre, nous pensons que le raprochement et la comparaison de ces deux Ortographes seront une source d'instructions.

L'emploi d' ai pour oi dans plusieurs mots de la Langue (Français, Anglais, je disais, je ferais, conaître, faible, etc.) n'est pas, par raport à nous, une innovation ; plusieurs Auteurs nous en ont doné l'exemple. Ceux, qui n'aiment pas cette manière d'ortographier, peûvent tout au plus nous reprocher de lui avoir doné la préférence. Nous en avons aporté plus haut les motifs. = Nous proposons aussi quelques changemens dans un petit nombre de mots, où les signes de l'Ortographe ne nous paraissent point correspondre à ceux de la Prononciation. On écrit acueil, recueil, écueil, orgueil, etc. Mais, en analisant ces mots, on troûvera que l'u, qui est après le c ou le g, ne sert qu'à doner à ces deux consones un son fort qu'elles n'ont pas devant l'e, et à empêcher qu'on ne prononce aceuil, orgeuil, etc. D'après ce principe, l'u ne s'unit point avec l'e ; et quand il s'y associerait, ue n'exprimerait point le son de la diphtongue eu, que fait entendre la prononciation. Il faut donc écrire acueuil, comme Malherbe, et orgueuil, comme l'Abbé du Resnel, ainsi qu'on écrit chevreuil, deuil, fauteuil, etc. M. de Wailli propôse d'écrire acoeuil, orgoeuil : nous croyons l'aûtre manière plus conforme à l'analogie. = Il est un aûtre article, sur lequel l'usage nous parait inconséquent : c'est dans l'emploi de la double nn après l' e : on la redouble où elle est inutile : on ne la redouble pas où elle est nécessaire. On écrit ennemi et enivrer, enorgueillir : suivant l'analogie, on devrait donc prononcer anemi, comme on prononce anuié d'après ennuyer ; on devrait au contraire prononcer énivré, énorgueilli, comme on prononce énergie, énigme, énoncer. Car, quand on met deux nn après l' e, la première sert à doner à cet e le son de l' a, et la seconde se lie avec la voyelle suivante. Quand l' e conserve son propre son, comme dans énemi, il ne faut donc mettre qu'un n : quand il a le son de l' a, comme dans ennivrer, il faut en mettre deux.