Page:Feraud - Dictionnaire critique de la langue française, T1.pdf/10

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PRÊFACE. v


mer ; par é afecté de l’accent aigu, recherché, fortuné, etc. et par la diphtongue ai, je ferai, je dirai, etc. Le son de l’o est peint aux yeux de trois façons ; par o orange ; par au, auditoire ; et par eau, bateau, rameau, etc. Le son composé in s’exprime tantôt par in, fin, divin ; tantôt par ein, dessein, tantôt par ain, prochain, tantôt enfin par aim, faim, essaim, etc. = On ne troûve pas dabord de bones raisons pour justifier ces disparates et ces superfluités d’un luxe bien mal-entendu ; et l’on est tenté de les attribuer au caprice ou à l’ignorance. Point du tout : elles sont le fruit d’une érudition déplacée et inconséquente. La fureur des étymologies, le respect outré pour les Langues anciènes, l’avantage qu’on imaginait à marquer l’origine des mots et leur descendance, et à faire sentir la quantité des voyelles par la réduplication des consones, et aûtres principes semblables, dont on s’est long-temps aplaudi, et dont on s’aplaudit encôre, sont les véritables caûses de l’état où est notre ortographe. Ce sont des Savans, qui l’ont dirigée ; il aurait été à souhaiter que ce fussent des gens de goût sans érudition. Ils n’auraient pas transporté dans une Langue, où beaucoup de lettres ne se prononcent pas, l’ortographe d’une Langue (la Latine) où toutes les lettres se prononcent. = Pour comble d’embarras, ces règles, qu’ont inventées quelques Gramairiens, d’après un usage incertain et inconséquent, ne sont rien moins que générales. Cette réduplication des consones, qui avait pour principe le respect pour l’étymologie, ou l’envie de marquer la quantité des voyelles précédentes, a été souvent apliquée contre les lois de l’étymologie et de la prosodie. On écrit personne, donner, etc. etc. et tant d’aûtres mots avec deux nn, quoiqu’il n’y en ait qu’une dans le latin persona, donare, ou qu’il n’y ait point de mot correspondant en latin à ceux qu’on afuble de ces doubles consones, comme abandonner, environner, et tant d’aûtres. On écrit aujourd’hui aplanir, aplatir, etc. avec un seul p, quoique la syllabe soit brève dans ces mots, comme dans applaudir, appliquer, appeler, etc. qu’on écrit avec deux pp. = Quoiqu’on en dise, notre ortographe n’est point le fruit d’un usage réfléchi ; et l’espèce de culte, que le grand nombre des gens de lettres lui rendent, me paraît être le fruit du préjugé et de l’habitude, plutôt que du raisonement et d’un goût épuré. = On objecte l’Usage, et c’est la réponse décisive à toutes les objections qu’on peut faire. Mais l’Usage a si souvent changé : pourquoi ne changerait-il pas encôre ? Et quand cet Usage est incertain, déraisonable, inconséquent, incomode ; pourquoi aurait on pour lui un respect aveugle, poussé jusqu’au fanatisme ? = Quand on comença à écrire, tête, tempête, croître, tantôt, etc. l’usage universel n’était il pas d’écrire, teste, tempeste, croistre, tantost, etc. quoiqu’on ne prononçât plus l’s dans ces mots ? Ne s’éleva-t-on pas alors contre ceux, qui introduisirent cette nouvelle ortographe, si raisonable ? Et ne leur sait-on pas gré aujourd’hui d’avoir tenté de l’introduire ? Pourquoi ceux, qui font aujourd’hui, avec modération, des tentatives aussi raisonables et aussi utiles, n’espèreraient ils pas, au moins dans la postérité, le même succès, s’ils éproûvent dans leur siècle les mêmes contradictions ? = Aûtrefois on prononçait François, nom de Peuple, comme on prononce encôre François, nom de plusieurs Saints : on prononçait je conois, je faisois, je dirois, comme on prononce rois, lois, emplois, etc. On croit que ce sont les Italiens, qui vinrent à la suite des deux Reines de Médicis, surtout de la derniere, femme d’Henri IV, qui firent changer la prononciation dans un grand nombre de ces mots ainsi terminés : ils prononçaient Francè, je conè, je faisè, je dirè, etc. et on les imita, dabord à la Cour et ensuite dans tout le Royaume. Les Praticiens seuls s’obstinèrent à conserver l’anciène prononciation, et l’on pardona long-temps aux Poètes de la faire revivre, quand la rime l’exigeait, et de faire rimer françois avec lois, choix, etc. que les Acteurs étaient obligés à prononcer à pleine bouche, comme s’exprime Vaugelas. Mais aujourd’hui, que cette prononciation parait ridicule, même au Barreau, et n’est souferte qu’avec peine au Théâtre ; aujourd’hui que les Poètes ont renoncé à cette licence, pourquoi s’obstinerait-on à conserver dans l’orto-