Page:Faydit de Terssac - À travers l’Inde en automobile.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.
77
À Travers l’Inde en Automobile

cette entreprise. Nous retournons à la factorerie, traversant des champs de jute, nous embourbant à tous les pas, haletants, épuisés, nous nous laissons tomber sur une natte, chez le babou, et nous dormons toute la journée.

Pendant notre sommeil, il parcourt à cheval les agglomérations de bateliers jusqu’à 10 kilomètres d’Assoria, notre gîte, sans trouver une seule embarcation qui puisse supporter le poids de la machine. Quelques fortes barques ont des côtés tellement élevés qu’il faudrait établir une sorte de plancher entre les bords, pour embarquer Philippe, sans le laisser tomber au fond du bateau. Le babou a néanmoins ramené de son excursion un ami musulman, qui se charge de nous préparer, pour demain matin, un radeau ainsi compris.

Son habileté et surtout sa célérité m’inspirent peu de confiance, il parte d’aller quérir des coolies et des bambous à une grande distance et nous laisse entendre, qu’après tout, il ne répond pas du succès. La mauvaise humeur nous gagne, nous le malmenons, je crois, un peu trop, car le babou, tremblant, me dit confidentiellement à l’oreille de ne pas offenser le « musulman gentleman ». Il nous ramène au bungalow, nous offre des verres et des rafraîchissements et s’ingénie à nous empêcher d’aller activer les coolies, qui, lentement, maladroitement, se sont mis au travail. Le babou s’efforce de distraire notre attention, il entame une longue dissertation sur la guerre russo-japonaise, nous fatiguant de son enthousiasme pour la nation jaune. Les victoires des Japonais sont pour lui le signal de la prochaine émancipation de toutes les races d’Orient assujetties aux principautés européennes. Il voit l’Inde libérée, par leur concours, des Anglais, puis abandonnée à la caste brahmaniale dont il fait partie et il se délecte, par anticipation, dans les joies, les puissances, les richesses, résultant de ce nouvel état de choses.

Inutilement, je lui représente que l’Angleterre s’est créée des sympathies et des pouvoirs dans toutes les castes guerrières, les seules qui combattraient ; il veut me convaincre de la force d’un petit nombre, résolu, courageux, contre une multitude moins vaillante : il invoque l’exempte de Napoléon vainqueur des coalitions !!

La fatuité incommensurable dont est pétrie l’âme de ces indigènes, déformés par l’instruction anglaise, l’empêche de saisir le ridicule de ses comparaisons. Il continue à nous égayer de ces propos historiques pendant une partie de la soirée.

Au matin, la barque est prête à nous conduire à Godogari. Les bateliers ont hissé des voiles de toile rouge que gonfle un