Page:Faydit de Terssac - À travers l’Inde en automobile.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
En Bengale

déclare ne pas parler l’anglais, la déception des curieux n’a d’égale que notre exaspération. Nous voudrions déjeuner et surtout trouver la route de Berhampore-Moorshidabad. Enfin, la patience, arme suprême en ces pays sauvages, nous vient encore une fois en aide. Assis sous les arbres qui ombragent la place du village, nous nous faisons justiciers, nous amusant à embrocher des fourmis blanches, menaçantes pour les pneus, quand le secours attendu se présente. Jouant des coudes et des pieds, un écolier se faufile au premier rang des spectateurs contemplant avec horreur ce massacre d’insectes, défendu par leur religion. L’arrivée du bambin cause une bousculade qui trouble le grand silence de la foule et attire notre attention. Le jeune perturbateur de l’ordre s’est placé très en évidence, peu soucieux de sa nudité et fier d’un cartable qu’il porte sous le bras. Son regard intelligent, sa peau presque blanche le font immédiatement reconnaître : c’est un enfant Brahme ; les autres mioches de castes inférieures s’écartent avec respect de ce quasi-dieu que notre présence semble intimider ; d’un geste maladroit, un de ses petits compagnons heurte le cartable qui tombe à terre entr’ouvert. Au nombre des livres que l’enfant y remet méthodiquement, flamboie la couverture orange d’un volume anglais, édition populaire, intitulé « The secret island ». Nous sommes sauvés, car le lecteur de ce roman doit être à même de nous fournir en langue britannique toutes les indications désirées. Très fier du reste de nous montrer son savoir, il s’exécute amplement et nous propose de nous mener au dak bungalow. Une fois arrivé, il s’empresse d’aller à la recherche de son père qui habite en dehors du village. Pendant que nous nous reposons, un groupe d’enfants arrêtés à la porte de la véranda nous contemple curieusement. Presque tous, abîmés de la petite vérole, sont vêtus uniquement d’amulettes attachées autour des reins. Ils se consultent. étudient nos gestes, nos regards, rient, en montrant de jolies quenottes teintées de bétel. L’un de nous tousse, ils s’enfuient, et dans leur envolée piaillante, une fillette laisse choir sa cruche de grès qui se brise. La consternation de la bande est si grande, les petites figures sont si émues, que ma générosité va jusqu’à leur jeter quatre annas.

L’écolier revient bientôt accompagné de deux brahmes, son père et son oncle. Ces hommes auraient pu servir de type à l’écrivain anglais qui a dit : « Un beau Brahme est un des plus magnifiques spécimens de la race humaine ».

Ils ont l’impeccabilité de traits, la gravité du visage, l’idéal dans les yeux, la puissance et la taille des statues antiques. Leurs mouvements sont souples, leurs gestes dignes, leur attitude légèrement hautaine et condescendante. Le sang aryen et les tradi-