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En Bengale

n’exprime que l’indifférence de l’esclave ; les castes agricoles sont les plus méprisées et les femmes supportent presque uniquement la lourde charge du travail quotidien dans les champs. Le soleil flétrit vite le visage rond et assez clair des fillettes, le poids des fagots et des gerbes courbe leur taille frêle, et leurs mains deviennent rugueuses à remuer la terre dans les carrés vaseux destinés au repiquage du riz. Malgré cela, une gaieté tranquille allège leurs âmes simples, car elles accompagnent ordinairement de chants plaintifs leurs rudes tâches. Elles n’ont point d’autre horizon que le village enfoncé dans les bananiers, d’autre intérêt que les récoltes abondantes ou pauvres, d’autre distraction que la visite d’un arbre sacré, habité par un esprit de leur caste, auquel elles suspendent des chiffons dégoûtants pour préserver de la maladie leurs nombreux enfants.

Notre visite inopinée restera l’événement de leurs vies. Silencieuses, elles nous considèrent avec effroi et reculent craintivement, suivant d’un regard anxieux une tablette de chocolat que je tiens en mains. Les hommes, plus aventureux ont été parfois au bourg voisin de Ranaghat, ils savent que les Européens ne sont point redoutables : quelques-uns, en temps de famine, travaillaient aux chantiers ouverts par le gouvernement Britannique pour les affamés et connaissent ainsi les « Sahebs ». L’indigène qui nous hospitalise s’efforce de rassurer les femmes, il m’amène de force son épouse en la traînant par le poignet ; ses amies, terrorisées, s’enfuient et se cachent dans leurs cabanes. Mes bonnes paroles en bengali estropié, tarissent immédiatement les larmes qui commençaient à sourdre dans ses yeux, mon langage lui paraît si bizarre qu’elle se met à rire ; elle rit, elle rit à pleines dents, les épaules secouées d’un accès de belle humeur irrésistible. La cordialité exquise commune à toutes les castes, même infimes, se manifeste chez elle par l’offre spontanée d’une cruche de lait mousseux. Près de la maison dont la toiture de chaume recouvre un sol d’argile, brûle un feu vif de feuilles de palmier, la jeune femme enlève un bassin de graines fumantes qui mitonnaient sur les flammes courtes et me fait signe d’y poser une petite casserole d’aluminium qu’elle aperçoit dans nos bagages ; elle verse dedans le liquide crémeux, m’interdisant par gestes de toucher à ses vases de cuivre. Le contact d’un blanc rendrait cette misérable vaisselle impure et empêcherait même ces castes dégradées d’en faire ensuite usage.

Pendant que nous déjeunons de biscuits et de chocolat légèrement brûlé, une grande partie de la population se dirige vers la route pour examiner, la voiture « à air » (gharri owa), notre hôte les précède, fournissant des expli-