Page:Faydit de Terssac - À travers l’Inde en automobile.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
En Bengale

soupèsent, le mesurent de l’œil, ils soupirent de satisfaction en constatant qu’il est encore dans les proportions requises.

Le jeune cocher empoigne un gros fouet auquel manque la mèche et à l’aide d’appels de langue claquants comme des castagnettes, nous nous mettons en route. Les cahots nous précipitent les uns sur les autres, les bagages tombent par les portières sans portes, un cheval rue, l’autre s’emballe, le syce perd son turban, une ficelle se casse et on va secouer un homme qui dort devant sa hutte pour en acheter une autre ; les femmes s’éveillent, les enfants pleurent, si bien qu’un gardien de nuit nous interpelle et menace d’aller requérir la police régulière. Quand il voit des Européens mourant de soif et de sommeil, il devient obséquieux et nous escorte jusqu’à l’hôtel, où nous attendra plus désagréable surprise. La patronne, une vieille Anglaise somnolente et sourde, qu’une camisole de nuit et de faux cheveux roux placés au hasard sur son crâne pointu n’avantagent pas, nous offre aussitôt du wisky et soda, mais elle nous déclare que l’hôtel est plein de la cave aux combles, il reste une chambre, un sofa, un lit de camp. Là-dessus, la perruque blond ardent disparaît dans l’entrebâillement de la porte et nous nous trouvons dans l’obscurité complète, trébuchant sur les valises, les sacs, renversant les meubles, les bouteilles et les verres. Les domestiques qui dorment par terre, près des écuries et derrière la maison, arrivent lentement, leur nonchalance habituelle augmentée d’un sommeil interrompu. Mais nous avons beau simuler des gens qui tombent de fatigue, épuiser nos ressources de linguistiques, ils ne comprennent rien, s’obstinant à frapper à la chambre de la patronne d’où sort un ronflement sonore. Exaspéré, Siadous arrache à l’un d’eux sa lanterne et nous commençons une véritable perquisition domiciliaire, ouvrant toutes les portes qui ne résistent pas, examinant les placards. Dans une pièce qui nous avait paru vide, nous sommes assaillis par une volée d’injures Indoustani, nous fuyons en bon ordre. Ailleurs, nous réveillons un enfant qui se met à crier à tue-tête ; un singe apprivoisé attaché sur le balcon de véranda me saute au cou, le chauffeur en voulant me secourir casse la lanterne qu’une rafale de vent brûlant éteint. C’est un désarroi complet. Enfin, les domestiques ahuris, terrorisés, se jettent à nos pieds en nous conjurant de cesser ce jeu qui dure depuis trop longtemps et ils nous installent, l’un dans une espèce de boudoir, l’autre dans une alcôve qui ouvre sur un corridor et Siadous par terre dans la véranda, qui s’allonge claire et proprette autour du bungalow.