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Les Villes Mogholes


CAWNPORE, 28 SEPTEMBRE.


La force du nombre est douloureusement, glorifiée à Cawnpore par un puits de marbre blanc, que garde un ange aux bras chargés de palmes. Les mains croisées sur la poitrine, son extatique visage de granit regarde le firmament et sa tête, dont les boucles rigides effleurent la margelle, semblent se pencher vers les profondeurs de ce sinistre trou pour surprendre la plainte suprême des victimes de Nana Saheb.

La nation britannique a élevé ce monument à un petit groupe de ses enfants qui succombèrent lors de la révolte des Cipayes, sous la rage meurtrière des soldats du Nabab de Cawnpore.

Ils n’épargnèrent ni l’âge, ni la jeunesse, ni la beauté. L’on sait à peine le nombre des victimes et l’on ignore presque leurs noms. Le premier cadavre que l’armée anglaise, finalement victorieuse, retira du puits où s’entassaient, en une lugubre hécatombe, des membres mutilés de vieillards, des corps d’enfants, des têtes sanglantes de femmes, fut celui d’une jeune fille dont le pied blanc dépassait l’affreux amoncellement.

Autour du mausolée s’étend un immense et délicieux jardin, dont les buissons fleuris recèlent des plantes vénéneuses, les gazons des reptiles meurtriers, des insectes venimeux.

Involontairement, l’on identifie ce parc au caractère indigène ; ces dangers latents, presqu’infimes, symbolisent l’astuce, la ruse, la haine, sourdes et obséquieuses de certaines races pour leurs maîtres européens et l’on songe avec quelque effroi à la révolution totale de la carte asiatique qu’amènerait une fusion générale des intérêts et des ambitions indigènes, une union, improbable du reste, de toutes les castes, de tous les clans, se levant de l’Hymalaya au Mysore, du Gange au Brahmapoutre, comme une nation homogène et innombrable, contre quelques milliers de soldats britanniques.