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de longs siècles à la recherche de nous-mêmes. C’est lui qui a maintenu mille ans au fond de nous ce débat douloureux entre les sollicitations des sens et la hantise du salut. Mais c’est peut-être grâce à lui que nous savons que notre force, c’est l’accord poursuivi dans la souffrance et réalisé dans la joie de notre animalité sainte et de notre sainte raison.

L’art, qui est précisément la manifestation la plus expressive et la plus haute de cet accord et la forme vivante qui jaillit des amours profondes de la matière et de l’intelligence pour affirmer leur unité, l’art devait mourir en même temps que les croyances naturistes quand les religions éthiques apparurent pour nier l’utilité de son action et précipiter l’humanité sur des voies opposées à celles qu’elle suivait jusqu’alors. Les Juifs, déjà, qui firent entrer dans la pensée occidentale l’esprit imposant et stérile des solitudes, haïssaient et condamnaient la forme. Les Arabes, nés du même rameau, allaient manifester leur dédain pour elle. Il fallut le contact du sol européen, de ses golfes, de ses montagnes, de ses plaines fertiles, de son air vivifiant, de sa variété d’apparences et des problèmes dont il propose à l’esprit la solution, pour arracher les peuples qui l’habitent, après dix siècles de luttes douloureuses, d’efforts sans cesse brisés et repris, à l’étreinte puissante de l’idée sémitique. Il fallut que l’Inde sentît dans la substance même de l’idée bouddhique, y tressaillant, et faisant sa force et son entraînante beauté, l’incessant mouvement de fécondité et de mort qui fait bouger ses forêts et ses fleuves, pour qu’elle repeuplât les temples de ses cent mille dieux vivants.

Au fond des grandes religions morales qui commencèrent à prétendre à la domination du monde quand le panthéisme de l’Inde védique et le polythéisme de la Grèce eschylienne eurent atteint leur plus haute expression et que le déclin commença pour elles, se faisait jour le même sentiment désespéré de l’inutilité finale de l’action. L’homme était partout fatigué de vivre, de penser, et il divinisait sa fatigue comme il avait, quand il aimait agir, divinisé sa vaillance. La résignation du chrétien, le nirvânisme du bouddhiste, le fatalisme de l’Arabe, le