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essaya de répondre. On ne le lui permit pas. Sa voix fut étouffée. Le misérable Tallien, amant de la Cabarrus, brandissait un poignard dans un geste théâtral. Finalement, Robespierre fut vaincu et décrété d’arrestation, avec Saint-Just, impassible, Couthon, Lebas, Robespierre jeune.

Mais quand Paris apprit les événements, ce fut un sursaut, de colère. La Commune fait sonner la « générale », fermer les barrières. Hanriot se met à la tête de ses gendarmes, force le local du Comité de Sûreté générale. Il n’a que trop peu d’hommes, par malheur, avec lui. Il est arrêté à son tour. Coffinhal ira le délivrer. Pendant ce temps, Robespierre et ses amis sont conduits en prison. Il apparaît que l’idée de Robespierre était de se présenter devant le Tribunal révolutionnaire, peuplé de ses partisans. Il comptait être acquitté, comme autrefois Marat. Ses fidèles l’arrachèrent à la prison, le conduisirent à l’Hôtel de Ville où il retrouva ses amis.

Là, les robespierristes perdirent leur temps à discuter sur les moyens à employer. Ils avaient pour eux, pourtant, la majorité des sections. La Convention, apeurée, ne savait quelle décision prendre et Collot parlait de « mourir à son poste ». Les heures passèrent ainsi. À la nuit, la place de l’Hôtel de Ville était presque vide. Barras se met à la tête des troupes fidèles à la Convention et envahit brusquement l’Hôtel de Ville.

Robespierre se tira un coup de pistolet dans la tête et ne réussit qu’à se briser la mâchoire inférieure. Lebas sé tua net. Robespierre jeune se jeta par la fenêtre.

Tous les survivants furent guillotinés, sur seule constatation de leur identité. Le lendemain, on exécuta 70 membres de la Convention. La tyrannie était abattue. Mais la Révolution était close.

Avec Robespierre et ses amis, c’était le dernier rempart de la Révolution qui s’écroulait. Ces hommes dont, malgré leurs erreurs, on ne peut nier la grandeur d’âme, le courage surhumain, la noblesse d’idées, avaient voulu conduire la Révolution jusqu’à son terme, en la débarrassant des aventuriers et des forbans qui ne songaient qu’à s’enrichir par le vol, le pillage, le chantage ; ils avaient rêvé l’égalité des droits et des fortunes ; ils se sacrifiaient pour les petits, pour les pauvres. C’étaient, en somme, des gêneurs. Trop d’honnêteté était en eux et l’on sait qu’on trouva, à peine, quelques assignats chez Robespierre, le Tyran, le Maître de la France.

Le 9 Thermidor marque la fin de la Révolution. Mais la Terreur continue. Elle a changé d’objet, simplement. Les brigands triomphent, comme l’a dit Robespierre. Les riches respirent ; ils l’ont échappé belle. Et les prisons sont ouvertes d’où se précipitent royalistes, girondins, contre-révolutionnaires. Les vrais révolutionnaires, tels que Collot, Billaud-Varenne, commencent à comprendre quelle sottise criminelle ils l’ont commise. Ils se voient, à leur tour, menacés. Plus tard, ils diront leurs remords. Barère avouera qu’on a tué la République en tuant Robespierre. Billaud, de même.

La République égalitaire a vécu. Ce sont, désormais, les muscadins qui tiendront le haut du pavé. La Réaction triomphe. Les flibustiers enrichis étalent leur arrogance. Ils seront, plus tard, fonctionnaires et préfets de l’Empire Quant aux sans-culottes qui, par incompréhension et dépit contre les mesures de la Commune, ont laissé faire, ils sentiront la trique leur carresser les reins. Ils s’obstinaient contre le maximum ; ils le réclameront en vain par la suite.

La plupart des montagnards, dressés contre Robespierre, bourrés de regrets, iront, dans une dernière tentative contre la République des Riches et des « Ventres Pourris », se grouper derrière Babeuf, vaincu et imriolé à son tour. De ce nombre, Amar, le plus perfide adversaire de Robespierre.

En résumé, cette Révolution de cinq années, en dépit

des luttes sanglantes entre frères ennemis et du sang qu’elle a dû faire verser, a. accomplit une besogne incalculable. Ceux qu’on n’a pas craint d’appeler des Vandales ont fondé la Civilisation sur les ruines d’une Monarchie vermoulue. Son rayonnement s’est étendu à tout l’univers. Elle demeure, à travers les aimées écoulées, le guide sûr des hommes de liberté et de progrès. Elle a eu ses déchets et ses erreurs. Elle a été détournée de sa voie féconde par des adversaires sans scrupule. Elle a malheureusement abouti à l’orgie sanglante de l’Empire qui a, tout de même, fait un peu plus de victimes que la Terreur. Mais il faut la voir dans son ensemble. Aux révolutionnaires d’aujourd’hui de lui emprunter, en tenant compte de l’heure et des tâtonnements inévitables, tout ce qu’elle a comporté d’humain, de généreux, de noble et de s’inspirer de ses inoubliables leçons. — Victor Méric.

On lira avec profit et en vue d’une documentation complète les ouvrages que voici : Histoire des Montagnards, d’Alphonse Esquiros : Histoire de Robespierre, d’Ernest-Hamel : Histoire socialiste de la Révolution, de Jaurès ; La Révolution française, Danton et la Paix : Etudes robespierristes, Un Procès de Corruption sous la Terreur (Affaire de la Compagnie des Indes) ; Autour de Robespierre, Autour de Danton, La Vie chère et le Mouvement social sous la Terreur, d’Albert Mathicz : Histoire de la Révolution, de Villiaume ; Les Orateurs de la Révolution ; Histoire politique de la Révolution, par Aulard, etc…, etc…


LA RÉVOLUTION RUSSE. — Quelques notes préliminaires indispensables :

1o  On peut comprendre sous Révolution Russe, soit le mouvement révolutionnaire entier, depuis la révolte des Dékabristes (1825) jusqu’à nos jours, soit seulement les deux révolutions consécutives de 1905 et de 1917, soit enfin, uniquement, la grande explosion de 1917. Dans l’exposé qui va suivre, Révolution russe signifiera le mouvement tout entier (première interprétation). En effet, cette méthode est la seule qui permettra au lecteur de comprendre, autant que possible, la suite des événements, et aussi la situation actuelle en U. R. S. S.

2o  Il va de soi qu’une étude quelque peu complète de la Révolution russe exigerait plus d’un volume. Elle ne pourrait être qu’une œuvre de longue haleine réservée surtout aux historiens de l’avenir. Il ne s’agit ici que d’une étude sommaire dont le but sera : a) de faire comprendre l’ensemble du mouvement ; b) de mettre bien en relief ses traits saillants, ses faits essentiels et, surtout, ses éléments peu ou pas connus jusqu’à présent à l’étranger ; et c) de formuler certaines conclusions ou appréciations.

3o  Une difficulté considérable consiste dans le caractère très particulier de l’histoire russe en général, comparativement à celle de l’Europe occidentale. À vrai dire, l’examen de la Révolution russe devrait être précédé d’une étude historique générale du pays ou, mieux encore : encadré dans cette étude. Mais une pareille tâche dépasserait de beaucoup les limites de notre exposé. Nous essayerons donc, pour parer à ladite difficulté, d’apporter au lecteur des notions historiques d’ordre général toutes les fois que cela nous paraîtra nécessaire.

La Russie au début du xixe siècle — Les « Dékabristes ». — La légende du Tsar et le paradoxe russe. — L’immensité démesurée du pays (comme on sait, la Russie occupe seule la sixième partie du continent terrestre), une population clairsemée, désunie et d’autant plus facile à subjuguer, la domination mongole pendant plus de deux siècles, des guerres interminables, des troubles, et aussi d’autres facteurs moins impor-