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pas un mois ensemble sans se harceler et s’esgratigner ».

À différentes époques, de sévères ordonnances furent rendues et, plus particulièrement, par Louis XIV, pour mettre fin à ces mœurs ridicules. Elles n’eurent aucun effet, le duel subsista et il existe encore de nos jours.

En vertu des us et coutumes et des préjugés aristocratiques qui veulent que les insultes soient lavées dans le sang, ces messieurs de la bourgeoisie se battent en duel chaque fois qu’ils estiment avoir subi un affront. Drôle de conception de l’ « honneur », en vérité ; mais, comme en toutes choses, les possesseurs de la fortune sont des privilégiés qui peuvent tout se permettre et, si le duel est interdit par la loi, le duelliste bénéficie toujours de l’indulgence des magistrats.

Pour nous, il n’y a aucune différence entre le duel aristocratique et bourgeois, qui se pratique au Bois de Boulogne avec la complicité de la police, et celui du souteneur qui se pratique dans les rues obscures de la capitale. Nous n’avons pas cette subtilité qui consiste à trouver plus noble de s’entretuer au revolver et à l’épée qu’au couteau et s’il nous fallait chercher des excuses à ceux qui perpétuent de telles mœurs, toute notre pitié serait réservée pour l’ignorant et l’imbécile, et non pas pour le bourgeois qui se prétend instruit, éduqué, évolué et qui, en réalité, ne s’est pas libéré de la barbarie ancestrale. Il est vrai que ce n’est pas la raison qui dirige les hommes en notre siècle de science et de progrès et, si le souteneur est condamné lorsqu’il blesse ou supprime un de ses semblables, son geste est considéré comme un meurtre ; le bourgeois, lui, au contraire, est honoré lorsqu’il enfonce quelques centimètres d’acier dans la peau d’un autre bourgeois. C’est ce qu’on appelle en France la « justice » égale pour tous.

Le bourgeois, cependant, y met certaines formes, lorsqu’il décide d’assassiner un adversaire. À titre documentaire, nous empruntons au « Larousse », bien informé en matière de préjugés, certains articles du Code du duel : « Duel à l’épée : les lames doivent être lisses, droites, triangulaires, sans défauts. Les adversaires sont visités par les témoins avant le combat. Au commandement de : « Allez, messieurs ! », le combat commence ; il doit cesser au moment indiqué par les conventions, ainsi que toutes les fois que le directeur prononce le mot : « Halte ! ».

Duel au pistolet : les armes, inconnues aux adversaires, sont apportées, chargées et scellées, dans une boîte. Le directeur commande « Attention ! » puis : « Feu ! un, deux, trois ! ». Les adversaires doivent tirer entre les mots un et trois. La distance entre les combattants est de 16 à 24 mètres. Le nombre des balles à

échanger ne dépasse pas normalement six (trois par adversaire). Lorsque l’un des adversaires est blessé « l’honneur est lavé », « l’honneur est sauf » ; n’est-ce pas charmant et ridicule ?

Il est bien rare, cependant, que, de nos jours, les duellistes se fassent beaucoup de mal, car, à la première éraflure le combat est arrêté par les témoins et ordinairement, après s’être quelque peu égratigné l’épiderme, les adversaires se réconcilient sur le terrain. Le duel n’est, bien souvent, qu’une source de publicité et en tous cas, quelles qu’en soient les causes, il n’est pas intéressant et les duellistes encore moins.

Combien plus terrible que ces mœurs d’opéra-comique est le duel que se livrent parfois notre sensibilité et notre raison. Ne sommes-nous pas en proie, anarchistes, à une lutte constante avec nous-mêmes et notre vie, par l’ambiance, par la contrainte que nous subissons, n’est-elle pas en éternelle contradiction avec notre pensée, nos désirs et nos espérances ?

Chaque fois qu’il faut se défendre contre la violence que nous combattons, qu’il nous faut répondre par les mêmes coups à ceux de nos adversaires, — si nous ne voulons pas succomber, — il se livre en nous ce duel profond qui met aux prises nos sentiments d’affection, de paix, d’amour et la nécessité dans laquelle nous nous trouvons d’opposer notre force à celle de nos ennemis.

Heureusement que l’instinct de conservation nous soutient et que notre raison sort généralement victorieuse de cette bataille intérieure ; sans quoi, nous serions bientôt écrasés, laissant le champ libre à tous les organismes de réaction et de domination sociale.

C’est un duel à mort que nous avons engagé avec la bourgeoisie ; les coups répétés que nous lui avons portés l’ont quelque peu ébranlée, ses assises ne sont plus aussi solides ; seule la façade résiste encore et conserve une apparence de puissance. Demain, la forteresse s’effondrera entièrement, mettant fin au duel que se livrent depuis des siècles les asservis et les oppresseurs, et les hommes, unis et heureux, pourront vivre enfin en toute fraternité.


DUEL (Le). — Pièce en trois actes de Henri Lavedan (1905). Dans cette pièce, d’une psychologie pénétrante, Henri Lavedan nous présente un prêtre et un savant qui se disputent l’âme d’une femme croyante et passionnée. Ces deux hommes sont frères mais, en raison de leurs idées opposées, ils avaient abandonné toute relation. Placés l’un en face de l’autre par le hasard, ils se livrent un terrible duel ; l’un, pour asservir une femme à la religion ; l’autre, pour la délivrer de l’emprise de Dieu et la rendre à la vie et à l’amour.

C’est un drame poignant, d’une réelle profondeur et marqué d’une remarquable impartialité.