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termes de la Déclaration des Droits de 1789 serait une loi inconstitutionnelle. (Léon Duguit : Manuel de droit constitutionnel, Paris 1918, p. 228.)

M. Léon Duguit « croit » qu’il en est ainsi. Mais il ne propose aucune raison à l’appui de sa « croyance ». Autant dire qu’elle ne vaut rien.

La question qui se pose, en fait, à l’heure présente, est celle-ci : Les Droits de l’Homme sont-ils respectés dans la législation française ? On sait que non.

Les lois injustes qu’on maintient en vigueur, les pratiques abusives auxquelles on reconnaît force de loi sont-elles inconstitutionnelles par cela seul qu’elles sont injustes ? On aimerait en être assuré, et pour chacune d’elles, par les juristes qui, « faisant autorité » dans les prétoires, inspirent aux juges leurs arrêts. Car les dispositions législatives et les pratiques administratives ou policières qui violent les Droits de l’Homme sont en France plus nombreuses qu’on ne le croit communément.

Tels sont, pour ne citer que les plus révoltants de ces « abus légaux » :

1o L’article 75 de la Constitution de l’An VIII, qui décide que les « agents du gouvernement, autres que les ministres ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à leur fonction, qu’en vertu d’une décision du Conseil d’État ». Cet article, instituant, en fait, l’irresponsabilité professionnelle des fonctionnaires de l’État, est en opposition avec les articles XV de la Déclaration de 1789 ; XXXI de la Déclaration de 1793 et XXII de la Déclaration de 1795 ;

2o L’article 10 du Code d’instruction criminelle qui arme les préfets des attributions les plus redoutables du pouvoir judiciaire, comme, par exemple, du droit de « se saisir eux-mêmes, en tous les cas, pour les crimes ou délits, flagrants ou non flagrants, pour les délits politiques comme pour les délits de droit commun » de délivrer des mandats, de faire arrêter et détenir, d’opérer des perquisitions et des saisies, de procéder à des interrogatoires, de faire, en un mot, tout ce que peuvent les juges « sauf prononcer eux-mêmes la condamnation. » (G. Clémenceau, Journal officiel, séance du 16 décembre 1904, et Garçon, Revue Pénitentiaire, 1901.) Cet article viole le principe de la séparation des pouvoirs énoncés dans l’article XVI de la Déclaration de 1879 ;

3o La pratique des arrestations dites « administratives » qui s’exerce à l’égard des voyageurs sans passeport, des filles publiques et des aliénés ou prétendus tels. (Loi du 30 juin 1838) ;

4o Les arrestations injustifiées et les détentions préventives, opérées par l’ordre de magistrats ineptes ou trop zélés et prolongées sans motif valable.

Il nous serait aisé d’allonger cette liste indéfiniment en citant les actes arbitraires, les passe-droits et les injustices caractérisées commises quotidiennement sur tout le territoire français. (Voir, sur ce sujet passionnant, l’article Droits de l’Homme (Ligue française pour la défense des).

Devant cette carence indéniable et systématique des gouvernements, insoucieux d’assurer la séparation des pouvoirs et le respect des droits individuels, les pensées libres ont le devoir d’en appeler aux principes formulés dans les Déclarations des Droits. Ces principes, qui sont la garantie suprême des individus contre l’État oublieux de la mission qu’il s’est donnée, nous tenons à les reproduire au terme de cet article, comme la plus logique et la plus opportune conclusion :

« XVI. — Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. » (1789.)

« XXXIII. — La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme.

« XXXIV. — Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé.

« XXXV. — Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » (1793.)

À chaque citoyen d’y recourir, dans toute la mesure efficace et selon les possibilités du moment. — Henri Beauvois.


DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN (Ligue française pour la défense des). I. But de la Ligue : La Ligue française pour la défense des Droits de l’Homme et du Citoyen a été constituée, à Paris, le 4 juin 1898. L’action immédiate que se proposaient ses fondateurs (Ludovic Trarieux, Francis de Pressensé, Ferdinand Buisson, Gabriel Séailles, etc.), c’était, avant tout, la révision de l’affaire Dreyfus. Mais, dès leur premier manifeste, ils affirmèrent :

1o Que la Ligue s’appliquerait à faire vivre dans les mœurs et à réaliser dans les lois les principes de la Révolution française ;

2o Que toute personne dont le droit serait violé trouverait désormais auprès d’elle assistance et conseil. C’est vers ces deux buts que, sans arrêt ni défaillance, elle a tendu ses efforts.

II. L’œuvre de la Ligue en France : Depuis bientôt trente ans, par ses publications, par ses meetings, par ses interventions auprès des ministres et du Parlement, elle a tenu la conscience publique en éveil ; elle a combattu les conseils de guerre, les bagnes d’Afrique, le code militaire, les lois injustes ; elle a dénoncé les brutalités policières, les mensonges de la raison d’État, le scandale des instructions sommaires et des jugements de haine, les attentats à la liberté de pensée ; elle a défendu la légalité contre l’arbitraire des pouvoirs publics et contribué à redresser la législation française dans le sens de l’équité.

On connaît les campagnes retentissantes qu’elle a menées en France à l’occasion des affaires Dreyfus, Caillaux, Malvy. Grâce à la Ligue, Péan, N’Guyen Van De, soldats innocents, condamnés au bagne, ont été libérés ; grâce à la Ligue, la mémoire des lieutenants Herduin, Millant, du sergent Mercey, des soldats Maillet, Loiseau, Bersot, Santer, Gonsard, des civils Copie, Strimelle, Mertz, fusillés ; du lieutenant Louis Marty mort interné pendant la guerre de 1914 à 1918, a été réhabilitée.

On connaît moins la série innombrable des petits combats qu’elle livre tous les jours, dans tous les départements ministériels, en faveur des plus humbles victimes : étrangers menacés d’expulsion, pour qui elle obtient des permis de séjour ; fonctionnaires arbitrairement déplacés ou révoqués, à qui elle fait rendre leur emploi ; militaires ou civils injustement condamnés, qu’elle fait réhabiliter.

« Redresseuse de torts » inlassable mais impartiale, elle se place au-dessus des sectes politiques et religieuses. Elle n’admet comme adhérents que les démocrates attachés aux principes de la Révolution française ; mais elle intervient pour toutes les victimes de l’injustice, quels que soient leur parti, leurs tendances, leurs antécédents.

Elle est intervenue, naguère, en faveur d’officiers catholiques, frappés disciplinairement pour être allés à la messe en uniforme ; puis, pour des pasteurs protestants molestés à Madagascar ; plus récemment, pour des instituteurs et des institutrices brimés à