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veillantes peuvent avoir de tels procédés ? Aucune, bien au contraire. L’enfant est un terrain vierge qu’il faut savoir cultiver. Ce n’est pas par la brutalité, par la force, par la violence que l’on peut arriver à en faire un homme digne de ce nom, c’est-à-dire qui, dans l’avenir, aidera son prochain à gravir le rude chemin de la civilisation. Au lieu de répondre aux incartades de la jeunesse par des sanctions ridicules et arbitraires, enseignons-lui plutôt à se respecter, à s’instruire, et l’on détruira ainsi les germes mauvais dont elle a hérité et qui ne disparaîtront que si nous voulons sincèrement ne pas faire de nos enfants ce que nous sommes nous-mêmes : des esclaves. (Voir : Education.)

La discipline ecclésiastique repose sur les décisions et les Canons des conciles ainsi que sur les décrets des papes et des princes de l’église. Est-il besoin de souligner que tous les règlements, toutes les lois religieuses édictées pour déterminer la conduite commune des individus n’ont d’autres buts que de protéger le puissant et le riche des révoltes possibles du faible et du pauvre ?

Il est heureux que, de nos jours, l’Eglise ne puisse plus, dans certains pays, entre autres la France, exercer des sanctions contre ceux qui ne se soumettent pas à sa discipline, car elle se distingua, dans le passé, par sa barbarie et sa cruauté. A présent, son prestige a disparu et elle n’exerce plus qu’une puissance occulte de laquelle il faut pourtant se méfier.

On ne peut cependant oublier les crimes dont elle se rendit coupable et l’Inquisition qui régna en maîtresse sur le monde, et plus particulièrement sur l’Espagne, où les bûchers allumés par Torquemada — qui pour son compte personnel a un actif de 120.000 victimes — ne s’éteignirent qu’au xixe siècle, illustre les bienfaits de la discipline ecclésiastique.

Les premiers inquisiteurs avaient le droit de citer tout hérétique, de l’excommunier, d’accorder des indulgences à tous princes qui extermineraient les condamnés, de réconcilier à l’église, de taxer les pénitents et de recevoir d’eux, en argent, une caution de leur repentir. Nul n’a le droit d’ignorer aujourd’hui les ravages causés par l’Église, tout l’odieux de cette discipline déployée pour consolider les privilèges des seigneurs et du clergé, et qui coûta tant de vies humaines sacrifiées pour forger les chaînes de l’esclavage. Et cette discipline terrible était telle qu’elle donna son nom à un fouet composé de cordelettes et de petites chaînes, et l’on vit au xie siècle des bandes composées de plusieurs milliers d’imbéciles qui parcouraient les villes en se donnant la « discipline », croyant par ces actes ridicules racheter leurs péchés et ceux des autres.

Ces coutumes sont enfouies dans la nuit du passé, et il faut espérer que jamais plus, dans nos pays occidentaux, nous ne serons assujettis à la discipline de l’église.

Hélas ! La discipline militaire a survécu à la discipline ecclésiastique et, de gré ou de force, par la bêtise, par la lâcheté humaines, nous y sommes tous astreints.

« La discipline fait la force des armées » et, à l’armée, discipline est synonyme d’obéissance, de soumission, de respect aux ordres du chef, quels que soient ces ordres et quelles qu’en soient les conséquences.

On a dit sur l’armée tout ce qui pouvait en être dit et si ce n’était que l’on connaisse son rôle, sa discipline nous paraîtrait comique. Notre Molière moderne, Georges Courteline, l’a ridiculisée avec un rare talent, en a souligné les travers, les mesquineries, les petitesses, et l’a marquée au fer rouge de l’ironie. Mais l’ironie n’a tué ni l’armée ni la discipline. C’est que l’armée est la force sur laquelle se repose le capitalisme, et c’est pourquoi elle exige pour tous ceux qui forment ses cadres, qu’ils abandonnent toute personnalité pour devenir des automates animés par un cerveau

extérieur, dont les ordres sont infaillibles et indiscutables.

Malheur à celui qui ayant franchi les murs de la caserne, se permet encore d’être un homme ! Avec le costume civil qu’il quitte, il doit se dépouiller de tout ce qu’il sait, de tout ce qu’il connaît, de tout ce qu’il a appris à l’expérience de la vie. Il doit faire le vide en son crâne comme en son cœur, il ne doit plus être lui-même, mais la millionième partie d’un tout, d’un corps immense, d’un corps sans âme, sans idée, sans pensée, qui tourne à droite ou à gauche, lorsqu’on le lui dit, qui mange et qui boit, non pas lorsqu’il a faim ou soif, mais lorsqu’on le lui permet, qui dort lorsqu’un autre le veut bien ; un corps qui n’est qu’un objet semblable au jouet mécanique que l’on donne à un enfant.

Ainsi le veut la discipline militaire, pour que le soldat exécute sans protester les actes criminels qu’il est appelé à accomplir.

Et si, malgré le costume militaire, le cœur continue à battre et le cerveau à penser, alors, la sanction est là, menaçante, et s’abat terriblement sur la victime.

Peut-on mieux faire pour donner une image de la discipline militaire, que de citer l’aventure récente survenue à trois officiers espagnols ?

C’était en 1924. L’Espagne était courbée sous le joug de l’aventurier Primo de Rivera, mais de l’autre côté des Pyrénées, des hommes jeunes, nobles et courageux avaient juré de délivrer le pays du tyran et de son roi. Ils partirent un soir, avec au cœur l’espérance de déclencher la révolution, et de donner à l’Espagne un régime plus conforme aux aspirations de la population. Ils traversèrent la montagne, et s’attaquèrent à des forces tellement supérieures, que tout leur courage ne put suffire, et que leur action fut inutile. Ils furent vaincus. Léonidas et ses 300 Spartiates pouvaient-ils arrêter et triompher de l’armée de Xerxès ? Leur petite armée à eux fut dispersée ; certains moururent dans la bataille, les autres se perdirent dans la montagne.

Cependant, cette tentative ne fut pas sans soulever l’émotion et la terreur de la réaction espagnole qui demanda à son digne représentant de déférer à la justice les coupables de ce « coup de main ». De coupables on n’en avait pas, il fallait en trouver, et l’on arrêta trois jeunes gens, connus pour leurs idées syndicalistes ; mais qui niaient avoir participé à cette action révolutionnaire.

Ils furent pourtant renvoyés devant un Conseil de guerre, composé de trois officiers. On sait le peu d’indulgence des juges civils à l’égard des révolutionnaires, mais on peut dire que d’ordinaire les peines infligées par ces derniers sont relativement douces, si on les compare à celles que distribuent les juges militaires. Les magistrats siégeant à ce conseil de guerre étaient donc peu disposés en faveur des inculpés ; cependant, devant l’absence totale de preuve, il leur fut impossible de condamner ; ils acquittèrent.

Ces officiers ne connaissaient-ils pas les lois intangibles de la discipline qui ordonnent d’exécuter sans discuter, sans écouter le cœur et la conscience, les actes décidés par les autorités supérieures ? Pour n’avoir pas condamné des innocents, ils furent condamnés eux-mêmes à être enfermés dans une forteresse, et les malheureux acquittés furent renvoyés devant d’autres magistrats qui punirent de la peine de mort, et devant le bourreau qui garrotta. Telle est la discipline militaire.

Et encore, dans le fait que nous citons ci-dessus, ce sont des officiers qui se trouvent être les victimes de cette institution cruelle qu’est l’armée, mais lorsqu’il s’agit de simples soldats, les peines encourues sont terribles.

Dans notre douce république, en cette année de