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chercherions un produit sur lequel l’État, le Gouvernement ne prélèvent pas une certaine partie de sa valeur. Toutes les marchandises, quelles que soient leur nécessité ou leur utilité, sont imposées. Il fut un temps, où la Gabelle, ce fameux impôt sur le sel, souleva la protestation et l’indignation du populaire. Aujourd’hui, le blé, le sucre, le sel, la viande, le café, tous les produits enfin, sont soumis à une certaine taxe qui varie selon les besoins de l’État, et il coule de source que si ces taxes sont payées directement par le commerçant, ce dernier ne manque jamais, en augmentant le prix de sa marchandise, de se faire rembourser par le consommateur. C’est donc le consommateur qui paye la dîme.

On trouvera plus loin, au mot « Impôt », les diverses formes de contributions auxquelles sont soumises les populations modernes, et nous verrons que nous n’avons rien à envier à nos ancêtres ; que nous sommes, comme eux, écorchés par de nouveaux seigneurs, qui, s’ils ont changé de noms, n’en sont pas moins rapaces, et entendent continuer à vivre sur le dos du commun.

Le peuple a payé la dîme, il s’en est libéré par la Révolution ; il paye l’impôt, il ne s’en libérera que par la Révolution. Encore faut-il que cette révolution soit complète ; car, inachevée, elle donnera naissance à de nouvelles erreurs, et changera le nom des choses sans en changer le fond. Or, c’est au fond qu’il faut s’attaquer, c’est lui qu’il faut détruire si nous voulons voir disparaître ce qui fit et fait encore le malheur de l’humanité.


DIPLOMATIE. n. f. Anciennement, la diplomatie était l’art de déchiffrer les chartes et les diplômes ; mais, depuis le xve siècle, elle est devenue une science qui consiste à négocier les « intérêts » respectifs des États et des Gouvernements entre eux, et les qualités les plus indispensables à l’exercice et à la pratique de cette science sont : le mensonge, la fourberie, l’adresse et la ruse ; qualités, comme on le voit, toutes bourgeoises et dont se glorifient les diplomates, honorés de posséder de telles vertus.

Pour le peuple, la diplomatie puise sa source dans le « droit » international et a pour but ou pour objet la tranquillité, la sûreté, la quiétude des nations, et le rôle du diplomate est de rechercher les moyens susceptibles de régler pacifiquement les conflits qui pourraient menacer la paix existante entre diverses nations dont les intérêts sont opposés.

La réalité est toute autre, et M. Georges Louis, ancien ambassadeur de France à Petrograd, dans son étude sur les responsabilités de la guerre, éditée chez Rieder sous le titre : « Les Carnets de Georges Louis » nous éclaire lumineusement sur ce qu’est la diplomatie.

Nous initiant sur les relations diplomatiques de Poincaré et de Sazonoff, il écrit : « Après avoir lu le Livre bleu d’Avril sur la crise européenne, on sent que Poincaré et Sazonoff se sont dit : « Ce qui importe ce n’est pas d’éviter la guerre, c’est de nous donner l’air d’avoir tout fait pour l’éviter »  ».

Ces mots, cette formule, sous la plume d’un diplomate éminent, sont symboliques. Et, en effet, le rôle de la diplomatie n’est pas d’éviter les conflits, mais d’en cacher les causes déterminantes au peuple, et de couvrir de son manteau les véritables responsables.

Il est des individus qui ne combattent pas, qui ne critiquent pas la diplomatie en soi, la considérant comme utile, nécessaire, indispensable même à la vie des nations, et qui estiment que, si elle n’était pas secrète, si ses travaux s’effectuaient en plein jour, sous le contrôle du peuple, son rôle ne pourrait être que bienfaisant. Pauvres fous ! La diplomatie peut-elle ne

pas être secrète, et le contrôle populaire peut-il être une garantie ? La démocratie, qui est le gouvernement du peuple, est une manifestation suffisante de la souveraineté populaire, et il n’y a plus que les naïfs ou les coquins pour croire que sa volonté est respectée.

Nous avons dit que les qualités essentielles du diplomate sont la ruse, le mensonge et la fourberie ; par conséquent, la partie n’est pas égale car, sur ce terrain-là, le peuple est toujours et sera toujours roulé.

La diplomatie est l’action de dissimuler, et on ne peut donc, en vérité, demander qu’elle ne soit pas secrète ; si elle ne l’était pas, ce ne serait pas de la diplomatie.

Est-il besoin de rechercher bien loin dans le passé pour trouver des exemples frappants de ruse diplomatique ? Qui donc, de nos jours, ignore la finesse avec laquelle le célèbre Bismarck procéda à la veille de la guerre de 1870.

La France, comme l’Allemagne, voulaient la guerre et, lorsque nous disons la France et l’Allemagne, nous entendons, non pas le peuple qui n’aspirait qu’à la paix, mais les gouvernements respectifs de ces deux pays ; et pour laisser au gouvernement français toute la responsabilité de la déclaration de l’état de guerre, Bismarck n’hésita pas à falsifier des télégrammes diplomatiques, ce qui mit le comble à sa puissance, la fourberie étant un facteur de succès en diplomatie.

D’autre part, les événements, beaucoup plus récents qui précédèrent la grande guerre de 1914, et qui nous sont connus aujourd’hui, nous fixent définitivement sur le jeu de la diplomatie et des diplomates. Nous allons citer certains faits qui démontrent amplement la ruse déployée par les diplomates et l’ombre dans laquelle ils agissent.

Empruntons le témoignage suivant à M. Stéphane Lauzanne, qui ne peut être suspecté de sympathie pour les contempteurs de l’ordre bourgeois.

« Je me souviens, dit-il, le 31 juillet 1914, avoir déjeuné dans une maison amie, avec M. Aristide Briand que M. René Viviani avait accompagné jusqu’à la porte en auto ».

« 31 juillet 1914 ! Le jour où l’Allemagne lança son ordre de mobilisation, le jour où, en fait, elle décréta la guerre ! On pense si les convives interrogèrent M. Briand. Il savait, lui ! Il venait de causer avec le chef du gouvernement qui savait, qui devait savoir. Et j’entends encore M. Briand nous dire, de sa voix aux sonorités traînantes : « Ce que je sais bien, c’est que les Allemands ne nous déclareront pas la guerre. Ce ne sont pas des idiots ! Ils ont eu dix occasions meilleures que celle-ci pour nous attaquer, dix occasions où ils n’auraient pas trouvé les alliés aussi solidement unis. Ils raisonnent, les Allemands. Ils ne sont pas fous… Je vous dis qu’ils ne feront pas la guerre… »

Et Stéphane Lauzanne ajoute :

« 31 juillet 1914. Voilà ce que l’on savait dans les milieux où l’on sait… »

M. Stephane Lauzanne, en bon journaliste bourgeois qui se respecte, prend ses lecteurs pour des imbéciles, car il ne fera admettre à aucun homme qui raisonne tant soit peu, que M. Briand ne savait pas ; mais si M. Briand savait, il y avait intérêt à ce que le peuple ignorât ce qui se tramait dans les coulisses diplomatiques. Le 31 au matin, le Gouvernement français savait que la guerre était inévitable puisque, dans la nuit du 30 au 31, l’ordre de mobilisation avait été affiché en Russie, et que M. Paléologue, l’ambassadeur de France, en avait averti son gouvernement. Cela est tellement certain, que le 10 septembre 1914, la revue française le « Correspondant » publiait le journal d’un officier français mobilisé à Saint-Pétersbourg, dont nous extrayons ce passage :