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Le dilemme est un argument qui présente une alternative de deux propositions, de façon à ce que l’on soit nécessairement confondu, quelle que soit la supposition que l’on choisisse.

Empruntons au Larousse un exemple de dilemme. On dit à un soldat qui a laissé passer l’ennemi : « Il faut que tu aies quitté ton poste ou que tu aies volontairement livré le passage. Si tu as quitté ton poste, tu mérites la mort. Si tu as livré le passage, tu mérites encore la mort. Donc, dans tous les cas, tu mérites la mort. »

Protagoras, le sophiste d’Abdère, a laissé un modèle de dilemme dans le procès qu’il intenta à l’un de ses élèves. Le maître avait convenu d’apprendre l’éloquence à son disciple moyennant une certaine somme, payable moitié à l’avance et l’autre moitié à la première cause que l’élève défendrait avec succès. Comme, selon Protagoras, l’élève tardait à plaider, ne trouvant sans doute pas de cause, le maître le cita en justice et se tint ce raisonnement : « Ou la sentence me sera favorable, ou elle me sera tout à fait contraire. Dans le premier cas, mon élève doit me payer ; dans le second, il gagne son procès et, aux termes de notre convention, il est mon débiteur ». Mais le disciple avait profité des enseignements et des leçons de son professeur, et il répondit : « Si les juges me donnent raison, je ne vous dois plus rien ; s’ils la donnent à vous, je perds ma première cause et notre première clause m’absout. »

On prétend que les juges, embarrassés, remirent le prononcé du jugement à cent ans.

Nous voyons, par les deux exemples qui précèdent, que le dilemme nous entraîne dans un cercle vicieux duquel il est impossible de s’échapper. Si le dilemme est une adresse de l’esprit, un argument employé pour réduire une proposition à l’absurde, il n’en est pas moins usé très fréquemment et les individus s’y laissent prendre comme des oiseaux à la glu.

Prenons en exemple les pacifistes guerriers qui spéculent sur les morts et jouent sur la guerre défensive et la guerre offensive. « Vous êtes Anarchistes et, par conséquent, vous défendez des principes de liberté absolue, nous disent-ils. Or, si la France est attaquée, et si les « ennemis » sont victorieux, vous serez, ainsi que toute la population, asservis et courbés sous le joug du vainqueur ; et, si vous prenez les armes, vous serez en contradiction avec vous-mêmes. D’une manière comme d’une autre, vous ne pouvez agir en Anarchistes, et, par conséquent, l’Anarchisme est une doctrine ridicule ». Politiquement, et surtout dans les périodes de bataille électorale, on se plaît à nous enfermer dans un dilemme, et ce sont surtout nos adversaires de gauche qui agissent ainsi. Ils nous disent : « Si vous ne votez pas, vous permettez à la réaction de triompher, car vos voix viendraient grossir le nombre d’élus socialistes et communistes ; mais si vous votez, en vertu même de vos principes, vous vous nommez un « maître », et vous n’êtes pas Anarchistes ; alors ? »…

Alors, et particulièrement dans les réunions contradictoires, il faut faire attention de ne pas se laisser enfermer dans un dilemme, et avoir soin de bien établir le sujet que l’on traite, car, malheureusement, les raisonnements par l’absurde abondent, et le peuple, dans sa naïveté et sa simplicité, ne s’aperçoit pas qu’on se joue de lui, et se laisse prendre par ces arguments illogiques et captieux.


DILETTANTISME. Dilettante est un mot italien qui signifie « amateur » et il fut, à l’origine, appliqué spécialement aux amateurs de musique, et surtout de musique italienne. Le dilettantisme était donc l’amour passionné de la musique italienne, et n’était pas pris en mauvaise part.

De nos jours, le mot dilettantisme a une signification beaucoup plus étendue et sert à marquer le caractère de celui qui s’occupe d’une chose superficiellement, en amateur, sans être profondément attaché à cette chose.

Les dilettantes sont nombreux et pénètrent partout ; il y en a en peinture, en littérature, en musique et aussi en politique ; ces derniers sont les plus dangereux, car on peut les considérer comme les parasites d’un mouvement.

En politique, le dilettante est dangereux ; non pas qu’il soit un mauvais garçon cherchant à nuire à ses compagnons ou à les trahir, mais parce que ses opinions sont à fleur de peau et que, d’ordinaire, il ne veut, en aucun cas, sacrifier sa quiétude et sa tranquillité pour les soutenir et les défendre. En politique — et nous n’employons pas le mot politique au sens péjoratif — il ne faut pas agir en amateur, mais aller jusqu’au bout de ses idées. Quand on participe à un mouvement et plus particulièrement lorsque celui-ci est un mouvement d’avant-garde, il ne s’agit pas de le faire en guise de divertissement et de se dérober quand le moment est venu de prêter son action, de la joindre à celle de ses camarades. Agir ainsi, c’est commettre une indélicatesse vis-à-vis des compagnons qui comptaient sur une force et qui voient celle-ci leur échapper. C’est pour cette raison que le dilettante est dangereux.

Il y a, malheureusement, quantité de gens qui, par inconscience ou indifférence, ne se rendent pas compte de la portée de leurs gestes et de leurs actions, et de la répercussion qu’ils peuvent avoir, et c’est pourquoi on rencontre tant d’individus qui se réclament d’une idée ou d’une autre, par dilettantisme, parce que cela pose ou sonne bien à l’oreille.

Il fut un temps où l’on se disait anarchiste par snobisme, où il était bien porté de faire montre d’une certaine indépendance, et les cercles bourgeois accouchaient d’un nombre incalculable de jeunes Anarchistes : des dilettantes, qui s’évanouirent avec une rapidité vertigineuse lorsqu’il devint dangereux de se réclamer de l’Anarchisme.

Méfions-nous donc des dilettantes, on ne peut compter sur eux. S’il est permis de faire du dilettantisme, en sport, en littérature, etc…, le mouvement social n’est pas un amusement mais une chose sérieuse, qui a besoin d’hommes d’action, réfléchis et sincères, et non pas de dilettantes avides de discussion et à la recherche de gymnastique cérébrale ou de spéculation intellectuelle.

DILETTANTISME. n. m. (du mot italien : dilettante). Le dilettantisme est le goût prononcé pour un art ou un genre d’activité auquel on s’intéresse avec passion, sans toutefois le pratiquer. Le dilettante, par son caractère, s’apparente à l’amateur, mais avec quelque chose de plus intellectuel, élégant et raffiné.

Le mot dilettante ne servait guère à désigner, à l’origine, que les amateurs de musique, mondains et désœuvrés. A présent, par extension, ce qualificatif s’applique à tous les gens qui, dans le domaine de la philosophie, des beaux-arts, de la littérature, ou même de l’action sociale, se comportent de façon analogue.

Il est des dilettantes de la religion, de la charité, de la politique ; voire de la révolution prolétarienne.

L’écrivain Joris Karl Huysmans, qui a laissé une œuvre unique, et fut un des plus remarquables et des plus consciencieux littérateurs de la fin du xixe siècle, fut un dilettante du mysticisme catholique. Plus artiste que philosophe, ayant en horreur la plupart des milieux où se complaisaient ses contemporains, il fut séduit par l’art admirable des cathédrales et des chants liturgiques, la sérénité des cloîtres, jusqu’à se croire touché de la grâce divine et se réfugier, pour un