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de la discussion des opinions. La méthode dialectique consistait donc à bien savoir interroger et à bien répondre, en cherchant à faire jaillir la vérité de la confusion et des contrastes de la discussion. Dialectique est la fusion de deux mots grecs : attraverso et raccolgo. Un dialecticien merveilleux fut Socrate, dont l’activité philosophique fut exclusivement dialogique. Il ne faut pas confondre l’ergotage avec la dialectique. L’ergotage c’est l’art de disputer pour disputer, de contredire l’adversaire à chaque affirmation, sans avoir l’intention positive de prouver quoi que ce soit.

De l’ergotage dérivent les sophistes célèbres à cause de leurs subtilités qui tendaient à embouteiller l’adversaire. Quelques-uns, pourtant, employaient ce terme pour indiquer l’art de contester avec des arguments et le raisonnement, sans lui attribuer une mauvaise signification. La dialectique est un art polémique qui ouvre le chemin à la science. Elle part des opinions communes autour d’un objet donné, elle prouve leur résistance à la critique, en faisant ressortir les lacunes, les difficultés, les erreurs. Elle prépare donc le terrain à l’investigation scientifique. De Socrate aux positivistes contemporains, la dialectique a été entendue et appliquée en ce sens.

Avec Hegel, la dialectique devient « l’application scientifique de la logique inhérente à la nature humaine ». Comme, pour lui, les formes de la pensée sont les formes du réel, ainsi la dialectique est « la vraie et propre nature des déterminations de l’intellect, des choses et, de manière générale, de tout ce qui est « fini »  ». Elle consiste essentiellement à reconnaître l’inséparabilité des contradictions et à découvrir le principe de cette cohésion en une catégorie supérieure.

Par exemple : être et ne pas être, mots contradictoires, se fondent, pour ainsi dire dans devenir dans lequel se confondent : naître et périr, ainsi que : périr et naître : parce que ce qui devient, naît comme être mais périt comme non être ; et ce qui périt comme être, naît comme non être. Hegel appelle moment dialectique la contradiction même et le passage d’un terme à l’autre de cette contradiction.

La dialectique, dans le sens hégélien, acquiert une signification distincte de celle donnée précédemment.

La méthode dialectique est anti-scientifique en tant qu’elle se résout en un acrobatisme qui frise la logique et qu’elle barre la route à l’analyse.

Dans le champ de la logique, la dialectique hégélienne se base sur le principe d’identité qui considère les concepts comme quelque chose de permanent et d’immuable au lieu de les considérer comme des résultats de rapport, de relation. La méthode dialectique, au sens hégélien, se résout en « raison raisonnante », c’est-à-dire dans la combinaison de concepts dont la validité n’est pas en eux-mêmes mais qui résulte de la logique des développements systématiques. La dialectique hégélienne est un système plus qu’une méthode. Elle n’est pas, comme la dialectique socratique, analyse d’éléments logiques avec la conscience de la nécessité de faire précéder la justification des éléments de base à la construction systématique, construction dont le plan doit résulter de la connexion analysée, des rapports logiques, mais développement de lignes systématiques a priori, audace fantastique sans freins analytiques. La méthode dialectique de Socrate est à la dialectique d’Hegel comme l’investigation du savant est aux fantaisies du poète.


DICTATEUR. n. m. (du latin dictator, provenant de dictare, dicter, imposer, commander). Les premiers hommes qui portèrent ce titre furent des magistrats romains qu’on investissait d’un pouvoir absolu dans les périodes troublées. Ils étaient nommés pour une

période assez courte, six mois généralement, et leur dictature expirait avec les circonstances qui l’avaient déterminée. Le dictateur était une sorte de monarque temporel, jouissant de l’autorité absolue, toutes les autres autorités s’inclinant devant la sienne.

Au début, les dictateurs étaient proposés par le Sénat et nommés par le peuple, mais peu à peu le rôle du peuple fut diminué, puis supprimé, et les dictateurs ne représentèrent plus guère que l’aristocratie patricienne. Ils devaient, au bout d’un certain temps, faire place aux empereurs romains.

C’est d’ailleurs l’histoire de tous les dictateurs, dans tous les pays et à toutes les époques. Nommés pour résoudre des situations difficiles, pour écraser les ennemis de l’extérieur et de l’intérieur, ils reconstituent à leur profit l’autorité. Maîtres des diverses institutions autoritaires : armée, police, justice, administration, ils finissent par s’en servir pour exterminer leurs ennemis personnels, tous ceux qui pourraient menacer leur position élevée.

Les adversaires de l’idée anarchiste nous disent souvent que l’homme n’est pas parfait, qu’il a des défauts et des vices, et qu’il ne peut par conséquent vivre sans une autorité. C’est un reproche que nous pourrions retourner à ceux qui rêvent de dictature. Précisément parce que l’homme n’est pas parfait, si l’on a le malheur de lui confier l’autorité absolue, on peut être certain à l’avance qu’il l’utilisera pour des fins personnelles, dans son intérêt particulier, pour supprimer toute opposition, fût-elle la plus justifiée, à son autorité.

Il faut lire les belles pages d’Anatole France, dans « Les Dieux ont soif », pour saisir toute la nocivité de cette autorité sans aucun contrôle : des hommes profitant de leur situation pour s’enrichir, se venger, contraindre les femmes à les subir, etc., etc…

Chaque fois qu’un pays embarrassé s’est laissé imposer une dictature, il s’en est repenti amèrement.

La révolution française de 89-93 a fait aussi cette expérience. Un Robespierre, rêvant d’instaurer sa dictature personnelle, a fait couper sans pitié les têtes de tous ses adversaires. Il ne guillotinait pas que les hommes, mais aussi la révolution. Les meilleurs éléments révolutionnaires abattus, le peuple dégoûté et terrorisé, la réaction n’eut plus grande besogne à accomplir pour revenir au pouvoir : le dictateur lui avait préparé la voie.

Qu’on jette un coup d’œil dans l’histoire, et l’on s’apercevra de cette vérité indiscutable : quand un pays en révolution tourne ses yeux du côté d’un ou de quelques dictateurs, la révolution peut être considérée comme ayant vécu et la réaction revient vite.

Le titre de dictateur n’est qu’un euphémisme pour tromper les peuples. En fait, un dictateur est un monarque absolu, tyrannique, régnant par la terreur, irresponsable, échappant à tout contrôle, écrasant toute critique.

Un peuple dont la servilité peut lui faire accepter le gouvernement des dictateurs, est mûr pour un régime d’autorité absolue, et ne tarde pas à retomber dans l’esclavage.

Le langage populaire, qui est souvent l’expression du bon sens, ne s’y est point trompé. Dictateur est un mot presque toujours jeté comme une insulte. Il est l’équivalent d’individu autoritaire, brutal, tyrannique, tracassier, se mettant au-dessus de tout et de tout le monde.

Comme les États, les groupements ont souvent leur personnage voulant jouer le rôle de dictateur, désireux de gouverner sans rendre de compte à personne, finissant par confondre leur individu et l’organisation, et par faire passer pour des attaques à l’organisation toute critique de leurs faits, gestes ou paroles. Généralement, lorsqu’un groupement quelconque tombe dans cette men-