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Ce sont toutes ces pratiques qui donnent encore à l’église une certaine puissance et c’est du reste la raison pour laquelle les prêtres s’attachent à attirer vers eux les petits et à leur imprimer le caractère de la dévotion.

En apprenant à servir Dieu, on se prépare à servir ses maîtres sans protester, et on forge les chaînes qui maintiennent l’humanité en un demi-esclavage. Il est faux, que la dévotion soit une innocente folie ; c’est une folie dangereuse, contre laquelle il faut lutter, pour débarrasser la civilisation d’une plaie, d’une maladie qui a fait déjà de trop nombreuses victimes.

La dévotion est tellement imprégnée en l’individu, qu’elle se manifeste même en dehors des églises spirituelles, et l’on rencontre des dévots, qui croient être libérés de tous préjugés religieux et qui cependant remplissent certains devoirs ridicules, qui leur sont conseillés par les théologiens des nouveaux dogmes et des cultes modernes. Ce sont les patriotes, les nationalistes, et aussi les travailleurs qui ont découvert un nouveau Dieu et qui ne manquent jamais de lui faire leurs dévotions. Ignorance et hypocrisie, c’est la seule définition que l’on puisse donner de la dévotion ; d’une façon comme d’une autre il faut la combattre. « Un dévot est celui, qui, sous un roi athée, serait athée ». (La Bruyère). Et, en effet, le dévot est d’ordinaire un être plat, bas, mesquin, petit, qui cache ses passions, ses vices et ses tares, sous un voile de piété.

« Ne vous fiez pas, nous dit Balzac, à la sainte humilité ni au mauvais habillement de ce prêtre directeur de conscience, qui semble se préparer toujours à la mort ; car au dedans il est tout vêtu de pourpre, il a l’ambition de quatre rois ; il a des desseins pour un autre siècle. Mais surtout défiez-vous de ces ouvriers d’iniquité, de ces hommes puissants en malice, qui lèvent au ciel des mains impures, et s’approchent des mystères, étant tout sanglants de leurs parricides. Ils sont cruels ; ils sont monstrueux ; ils sont sacrilèges et ne laissent pas d’être dévots. Leur dévotion corrige leurs gestes et reforme leurs cheveux, mais elle ne touche point à leurs passions ni à leurs vices. Ils ne gagnent rien à la fréquentation des choses saintes, que le mépris qui naît de la familiarité et de la coutume de les violer. Ils en deviennent plus hardis, méchants, et non pas plus gens de bien ; ils perdent le scrupule et ne perdent pas le mal. Tellement qu’il est à croire qu’ils ne vont pas tant à l’église pour obtenir le pardon de leurs fautes, que pour demander permission de les faire et avoir autorité de pêcher. » (Balzac, le Prince.)

Elle serait longue à décrire la liste des dévots notoires qui se signalèrent à l’histoire, par leur méchanceté, leur tyrannie et leur despotisme. Louis XI fut un dévot cruel, Charles IX a à son actif la Saint-Barthélemy, Richelieu, le cardinal rouge, ensanglanta la France et son nom est taché de tous les assassinats qu’il organisa ; Louis XIV, le roi Soleil, fut un dévot ambitieux et hautain, et ses maîtresses, ne furent pas moins abjectes qu’il ne le fut lui-même. Madame de Montespan, après avoir supplanté la La Vallière, et eu du grand roi huit enfants, après avoir trempé dans l’affaire des poisons qui défraya la chronique parisienne de 1670 à 1680, fut à son tour sacrifiée à la Maintenon, et versa dans la dévotion la plus basse, comme si la piété pouvait laver toutes les ignominies dont-elle s’était rendue coupable.

La Maintenon ne fut pas une dévote moins ambitieuse que celle à qui elle succéda. Tour à tour protestante et catholique, elle abandonna, définitivement le protestantisme, son intérêt étant intimement lié à sa ferveur. Après avoir épousé le poète Scarron, elle devint bientôt veuve, mais l’esprit de son mari lui avait été de quelque utilité, et cette femme dévote n’hésita pas à accepter d’élever les enfants adultérins de Louis XIV. C’est probablement toujours en vertu de la morale, qu’elle se livra à Louis XIV et supplanta

Mme de Montespan, qui avait été sa bienfaitrice. On peut dire que Mme de Maintenon a une grande part de responsabilité dans les désastres et les infamies qui signalèrent la fin du règne de Louis XIV.

La liste pourrait s’allonger indéfiniment, mais à quoi bon ; qu’il nous suffise de conclure par ces sages paroles de La Bruyère : « Faire servir la piété à son ambition, aller à son salut par le chemin de la fortune et des dignités, c’est, du moins jusqu’à ce jour, le plus bel effort de la dévotion du temps ».

Cela n’a pas changé, et cela ne changera pas ; car c’est en cela que consiste la dévotion, et si elle n’est pas la conséquence de l’intérêt, elle est celle de la bêtise.


DÉVOUEMENT. n. m. Action de se dévouer, de se donner à une chose, à une idée, à une personne qui nous est chère et pour laquelle on abandonne ses intérêts particuliers, et parfois sa vie.

On cite assez fréquemment comme un exemple de courage et de dévouement, Léonidas, roi de Sparte, qui, avec 300 de ses compagnons, se firent massacrer aux Thermopyles, plutôt que de se rendre à la puissante armée des Perses, conduite par Xerxès.

Le dévouement des premiers Chrétiens est également légendaire, et l’on connaît tous les supplices qu’ils subirent, sans jamais vouloir renoncer à la croyance à laquelle ils étaient attachés. Il est pénible de constater que tous ces sacrifices, tous ces dévouements n’ont servi qu’à faire du Christianisme une agence politique au service des puissants, et que cette abnégation de soi fut à peu près inutile.

Il n’y a pas que l’enthousiasme, la raison, ou la logique qui soient des facteurs de dévouement : la sentimentalité et le fanatisme engendrent également le dévouement, et s’il est des êtres qui se dévouent pour une idée ou pour une cause qui est juste, il en est d’autres qui se dévouent pour une erreur. Il en résulte que des actes d’héroïsme sont accomplis par des individus et que ces actes ont des répercussions désastreuses sur l’ensemble de la collectivité.

La guerre, par exemple, est un champ d’action propice au dévouement, et il est certainement — car le courage n’est pas un privilège révolutionnaire — des patriotes qui sont prêts à donner leur vie pour « la défense de leur patrie ». Il est bien entendu qu’il ne peut être question ici des patriotes intéressés, des politiciens et des commerçants du patriotisme ; mais des patriotes sincères — il y en a hélas ! — qui n’hésitent pas à se dévouer à leur mauvaise cause. Il en est de même du reste de toutes les causes. La vérité est « une » et l’erreur est nombreuse. Or, chacun défend une conception différente et particulière, et par conséquent il est de toute évidence qu’il est des dévouements inutiles, voire nuisibles.

Quoi qu’il en soit, raisonnable ou aveugle, une cause ne grandit que par le dévouement de ceux qui y sont attachés. C’est le dévouement des premiers chrétiens qui a permis au Christianisme de s’étendre, de pénétrer partout et de gagner le monde. Si le Christianisme n’est plus aujourd’hui qu’un odieux commerce, qu’un ignoble négoce, cela tient justement à ce que le dévouement de ses adeptes ne reposait pas sur la raison mais sur le fanatisme.

Nous avons de nos jours, un autre exemple frappant du dévouement fanatique. Le Bolchevisme, qui est une religion, offrant de nombreux points de communauté avec le jésuitisme catholique, a de nombreux adeptes, et fait naître en eux un esprit de dévouement. Il n’est pas suffisant, pour combattre le bolchevisme, de déclarer que les hommes qui président à ses destinées sont corrompus par l’exercice du pouvoir, et qu’ils ne sont plus des révolutionnaires sincères. De même que le Christianisme, le bolchevisme pénètre partout parce qu’il ins-