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détenteurs de toute la richesse sociale lâcher leur prise et la collectivité, goûter enfin à la joie et au bonheur auxquels elle a droit.


DÉTENTION. n. f. (du latin detentio). Le mot détention est synonyme d’emprisonnement, mais s’applique plus particulièrement pour désigner la peine qui consiste à être enfermé dans une forteresse ou une maison d’arrêt située dans un endroit offrant toutes les garanties possibles contre les tentatives d’évasion.

La détention ne se prononce d’ordinaire que contre les délinquants politiques, les traîtres, les espions, ou tous ceux qui sont considérés comme nuisibles ou dangereux à la sécurité de l’État. Naturellement, seules les autorités constituées ont le droit d’ordonner la saisie d’un prévenu ou d’un inculpé, et la détention est illégale lorsqu’elle s’est effectuée sans l’avis de juges compétents,

La détention revêt parfois un caractère d’arbitraire particulièrement scandaleux, et il est à peine besoin de rappeler la monstrueuse affaire, dénommée affaire Dreyfus, et qui, de 1894 à 1905 agita et divisa la France en deux camps. Cette affaire devait pourtant se terminer par le triomphe de la justice.

Un officier français, le capitaine Dreyfus, né à Mulhouse en 1859, fut accusé d’avoir cédé à l’Allemagne certain document militaire intéressant la défense nationale. Traîné devant le conseil de guerre, malgré ses protestations d’innocence, l’absence totale de preuves, et l’évidence de la cabale montée contre lui, il n’en fut pas moins condamné à la déportation.

C’était aux anarchistes qu’allait revenir l’honneur de défendre, une fois de plus, la justice. Le capitaine Dreyfus n’était pas des leurs ; mieux, il était leur adversaire, leur ennemi, une fois comme bourgeois, et une fois comme officier. Cependant, il était innocent ; Juif, il servait de tremplin à la meute cléricale, qui, consciente de sa faiblesse, voulait, par un coup d’éclat, relever son prestige. Écartant toute considération d’ordre politique, n’écoutant que la saine raison, les Anarchistes, les premiers, entrèrent dans la bataille. Le capitaine Dreyfus s’effaçait, il n’était plus, aux yeux des compagnons, qu’un innocent injustement condamné, grâce à une odieuse machination, et il fallait que la cause de l’humanité, de la justice, sortit victorieuse de la lutte qui s’engageait.

Sébastien Faure fit, à Paris, le premier meeting, qui souleva l’indignation populaire contre les tyrans militaires, et le peuple commença à gronder. Sa voix fut entendue, et le célèbre romancier Émile Zola, intéressé par cette sensationnelle affaire, après avoir étudié les rapports qui lui furent soumis par les fidèles défenseurs du capitaine, publia sa fameuse lettre « J’accuse », qui dénonçait la trame du sinistre complot.

Un nouveau procès eut lieu ; Dreyfus fut renvoyé devant un nouveau conseil de guerre, à Rennes, en 1899. Mais les loups ne se mangent pas entre eux, et la soldatesque ne voulut pas désarmer ; le conseil de guerre de Rennes réduisit la peine infligée la première fois, mais ne voulut pas reconnaître l’accusé Innocent. Il fut condamné à 10 ans de détention, et ce ne fut qu’en 1906 que la Cour de Cassation, après une nouvelle instruction, annula le jugement et prononça l’innocence du capitaine Dreyfus.

L’homme est doué d’une faculté d’oubli remarquable. Les misères, les souffrances, les douleurs s’estompèrent bien vite, dans l’esprit du capitaine réhabilité, et, lorsque quelques années plus tard, on vint près de lui, pour solliciter son concours afin d’arracher Rousset, une autre mais modeste victime de la galonaille, aux griffes des bourreaux, il refusa de se joindre au peuple, pour l’aider, dans son œuvre humanitaire. C’est une honte dans la vie de Dreyfus.

Dreyfus, disons-nous, était un bourgeois, cela n’empêcha cependant pas le gouvernement au pouvoir de se rendre complice de sa détention, pour satisfaire à l’ambition d’une caste qui gouvernait dans l’ombre. C’est suffisant, pensons-nous, pour souligner que, lorsqu’il s’agit d’individus appartenant à la classe asservie, les hommes de gouvernement n’éprouvent aucun scrupule à agir et à ordonner leur détention, s’ils la jugent utile à l’accomplissement de leurs desseins.

Les cas abondent de militants ouvriers, syndicalistes, révolutionnaires, détenus arbitrairement dans les prisons et les forteresses, parce qu’il plaît aux despotes qui dirigent et président aux destinées humaines qu’il en soit ainsi. Leurs crimes ? Ils veulent régénérer le monde ; ils veulent mettre fin à l’inégalité sociale ; ils veulent voir se terminer la lutte fratricide que, depuis des siècles, se livrent les hommes ; ils veulent, enfin, qu’un rayon de soleil vienne illuminer ce pauvre globe, arraché, déchiré, partagé, par l’ambition et l’intérêt. Et c’est pour cela que, de par le monde, des hommes, beaux, nobles et grands, gémissent dans des cachots.

L’emprisonnement est cruel ; mais encore, au nom de la morale bourgeoise, il se légitime. Le moraliste nous dira que la « Société » se défend contre les criminels et qu’il faut les éloigner, les enfermer pour les empêcher de nuire ; mais la détention de prisonniers politiques est odieuse, car, généralement, pour provoquer la saisie des êtres considérés comme dangereux, ne pouvant rien légalement leur reprocher, on a recours aux faux, à l’intrigue, aux mensonges, pour s’en emparer.

« La justice » asservie aux maîtres et aux puissants, joue la sinistre comédie, indispensable à l’accomplissement du forfait, et les prisons s’ouvrent et se referment sur des hommes innocents, alors que les coupables de toutes les catastrophes, de tous les cataclysmes, de toutes les tueries, jouissent, de la liberté et de la considération de la grande masse des moutons et des aveugles.

Et il en sera ainsi, jusqu’au jour où, éveillé de son sommeil léthargique, la populace, se dressant à nouveau, sera traversée par une lueur de conscience et montera à l’assaut des bastilles, derrière lesquelles se meurent des milliers de malheureux. — J. C.


DÉTENU. Être détenu, être prisonnier, être enfermé dans une prison, être privé de sa liberté.

Il y a plusieurs catégories de détenus. On peut être détenu pour dettes, pour un crime ou délit de droit commun, pour un crime ou délit politique. La détention pour dettes ou contrainte par corps, ne se pratique plus en France, sauf en ce qui concerne les dettes contractées envers l’État ou pour les amendes et frais de justice consécutifs à certains procès. Par contre, la détention pour délit politique ou de droit commun se poursuit sans interruption et sans qu’il soit possible d’entrevoir, pour le plus proche futur, un changement quelconque à un tel état de choses.

En vertu de quels principes se permet-on de priver de sa liberté un individu ayant accompli un acte aussi blâmable soit-il ? On nous dira que la Société est obligée de se défendre contre les malfaiteurs et qu’elle les enferme pour mettre les gens honnêtes à l’abri de leurs méfaits ; c’est une mesure de précaution. Cet argument ne résiste pas à l’analyse ; car, à part quelques cas excessivement rares, le crime est un incident ou un accident dans la vie d’un individu. On n’est pas criminel de profession. Il y a des récidivistes, nous objectera-t-on ? Les récidivistes sont des êtres tarés ; mais, en général, ils ne se rendent coupables que de petits faits presque insignifiants.

Il suffit d’avoir étudié tant soit peu et avec impar-