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En outre, il lui faut :

Un bureau rue de Madrid… 1.800

Secrétaire, garçon de courses, sténographe, frais de bureau, chauffage, timbres… 15.000

Automobile… 5.000

Voitures… 750

TOTAL… 22.500

Enfin, il ne faut pas oublier qu’on a un département à visiter, des électeurs à satisfaire :

Logement à Verdun… 1.800

Habillement des pauvres de l’arrondissement… 1.500

Secours aux miséreux de l’arrondissement… 750

Sociétés patriotiques, concours, etc. … 750

Prix aux élèves des écoles primaires… 500

Fournitures scolaires… 250

Bienfaisance… 500

Voyages à Verdun… 1.800

TOTAL : 7.850

En somme, notre sénateur dépense :

Train de maison… 33.800

Frais de bureaux… 22.550

Frais électoraux…7.850

TOTAL : 64.200

Réduit à son indemnité parlementaire et à la dot de sa femme (en tout 17.500 Fr.), M. le Sénateur Humbert serait donc en déficit chaque année de 46.700 francs.

Or, il accuse un bénéfice net de 2.300 francs. Comment s’opère ce miracle ? D’où viennent donc ces 49.000 francs de boni ?

Remarquons d’abord que l’indemnité parlementaire n’y est pour rien.

M. Humbert avoue 7.850 Fr. de frais électoraux annuels. C’est déjà plus que la moitié de son traitement de sénateur. Mais il oublie quelque chose : son élection lui a coûté quelques billets bleus. Ses adversaires disent 100.000 à 300.000 francs…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Heureusement, nos « honorables » sont débrouillards ; ils savent se retourner. M. Charles Humbert ne gagnant rien comme sénateur, et ayant donné sa démission d’officier, s’est fait journaliste et publiciste.

À ce titre :

La Lanterne lui donne… Fr. 1.800

La Correspondance Républicaine… 1.800 La Grande Revue… 3.000

Journaux étrangers… 1.400

Son livre : Sommes-nous défendus ?… 3.000

Les Vœux de l’Armée… 1.500

TOTAL : 12.500

D’autre part, MM. Darracq et Serpollet, gros fabricants d’automobiles, viennent d’inventer un type de camions dits : « poids lourds » destinés au transport de grosses charges, et ils désirent en faire acheter un lot par le ministère de la Guerre. Mais pour cela, il faut que le Parlement vote les crédits nécessaires : on nommera une Commission ; la Commission désignera un rapporteur ; il faut s’entendre avec ce rapporteur. Or, il se trouve précisément que M. le Sénateur Humbert est rapporteur du budget de la guerre. C’est donc à lui qu’il faut s’adresser.

C’est ainsi que fut signé le traité que toute la Presse a publié :

MM. Darracq et Serpollet, donnent à M. Charles Humbert, le titre d’agent général de leur maison, avec 12.000

francs d’appointement fixe, plus tant pour cent sur les camions vendus… D’autre part, le Journal n’hésite pas à offrir 18.000 francs par an au rapporteur Charles Humbert, comme rédacteur spécialiste des questions militaires.

Résultat :

Quelques camions vendus… Fr. 7.500

Des mitrailleuses et autres valeurs industrielles qui rapportent… 1.500

Appointements fixes comme agent général… 12.000

Comme rédacteur au Journal… 18.000

Journalisme politique… 12.500

TOTAL : 51.500

(Puisé dans la Démocratie et les Financiers de Francis Delaisi, Edition de la Guerre Sociale, 1911)

Est-ce clair, est-ce net, est-ce précis ? Ces chiffres sont d’avant-guerre, mais ils sont suggestifs et démontrent lumineusement ce que sont les dessous de la politique. Et M. Charles Humbert n’est pas une exception. Il n’est ni plus mauvais ni meilleur que les autres politiciens. Tous se valent, tous tripotent, tous participent à de louches affaires que le naïf électeur ne soupçonne même pas.

Dans toute affaire politique il y a la combine ; dans toute élection un abject marchandage pour arriver le plus près possible de l’assiette au beurre, et il n’est pas de députés ou de sénateurs qui ne se soient laissés peu ou prou, corrompre, au cours de leur carrière. Les dessous de la politique sont ignobles et cependant les scandales qui éclatent de temps à autre ne semblent pas soulever dans la population l’indignation que l’on serait tenté de supposer. Le peuple assiste, indifférent, à toute cette bassesse, à toute cette corruption.

Il est parti, en 1914, à la guerre, sans en connaître les causes déterminantes, sans savoir pourquoi il allait se battre ; il est revenu, affaibli, fatigué, sans rien dire, sans protester, sans demander des comptes à ses bourreaux, et la tragédie continue comme par le passé.

À la grande guerre du droit et de la liberté, ont succédé d’autres petites guerres, dites civilisatrices : la guerre du Maroc, la guerre de Syrie, la guerre de Chine, qui se poursuivent encore, et si le peuple n’a pas eu connaissance des dessous qui ont déterminé la boucherie de 1914 ; il ne connaît pas plus pour quels intérêts inavoués il va se faire tuer en Syrie ou en Chine. Qu’attend-il ? Que toute l’humanité soit noyée dans le sang ? Qu’il soit réduit à l’état de l’esclave préhistorique ? Cela ne pourrait tarder. Encore quelques années d’un tel régime, et il ne pourra plus se relever. Il sera la bête de somme qui traîne son lourd fardeau, et sa chaîne sera si fortement imprimée dans sa chair qu’il ne pourra plus en effacer la trace.

Qu’il brise le paravent, qu’il jette un regard dans les coulisses, qu’il retourne les cartes, pour qu’au grand jour il puisse travailler au bonheur social ; c’est le rôle historique du peuple, c’est le devoir et la tâche qu’il a à remplir, s’il ne veut pas sombrer dans la plus profonde des misères et s’il ne veut pas assister à la décadence de l’humanité.


DESTIN. n. m. (du latin destinare qui signifie : destiner, arrêter, fixer, décider). Aux yeux de quantité de gens, le destin est une suite d’événements, de phénomènes, heureux ou malheureux, tracés à l’avance sur le grand livre de la vie, par une puissance obscure, et contre lesquels il est inutile de lutter, ou d’opposer la moindre résistance, ceux-ci devant se manifester et se produire en vertu d’une fatalité inéluctable.

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que des êtres qui s’imaginent être libérés de toute croyance religieuse, de