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se refusèrent à croire à toute l’étendue du désastre. Malgré les fautes et les erreurs des gouvernants russes, ils conservèrent leur confiance en l’avenir et usèrent de tous leurs moyens pour soutenir le Gouvernement et la Révolution. »

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« Ce n’est qu’en juin 1920, à la suite de l’attitude équivoque de Krassine, à Londres, et des premières tractations officielles du Gouvernement russe avec la basse finance internationale que les révolutionnaires sincères se rendirent compte du danger et que dans un article trop bien inspiré, hélas !, Rilbon concluait : « Le Bolchevisme en mourra. »

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« Se solidariser plus longtemps avec les hommes qui, quels que soient leur nom et leur passé, se mettaient au banc de l’humanité, eût été un crime ; Nous ne voulûmes pas nous y associer. Nous ne voulûmes pas nous rendre complices du meurtre de milliers de travailleurs russes. Nous élevâmes notre voix, pour que retentisse le grand cri de douleur et de détresse de tous ceux qui, sans arrière-pensée, loyalement, avaient tout donné pour la Révolution et voyaient celle-ci sombrer, à la grande satisfaction de la bourgeoisie, un instant apeurée. » (J. Chazoff, Le Mensonge bolcheviste).

Par les lignes qui précèdent, on comprendra que les Anarchistes ne se sont jamais désolidarisés de l’action révolutionnaire de leurs frères slaves, qu’au contraire ils ont fait tout ce qu’il leur était possible de faire pour les soutenir et pour les défendre, mais qu’ils se refusèrent à s’associer à l’action politique qui réduisit à sa plus simple expression le superbe mouvement d’octobre 1917.

On a également coutume de prétendre que les anarchistes se désolidarisent de la classe ouvrière parce qu’ils se refusent à se joindre à eux lors des foires électorales. C’est bien au contraire parce qu’ils ont souci des intérêts des classes opprimées et asservies que les libertaires ne veulent pas participer à ces comédies périodiques qui n’ont d’autres raisons que de donner aux travailleurs l’illusion de sa souveraineté. Malgré les affinités qui l’attachent, qui le lient au prolétaire, l’anarchiste ne peut se solidariser avec les erreurs du prolétariat, et le parlementarisme est une des erreurs les plus nuisibles dont ne se sont pas encore libérées les classes travailleuses. Se solidariser avec tous les politiciens menteurs et véreux qui spéculent sur l’ignorance populaire, ce serait là se désolidariser, d’avec la classe ouvrière ; et si parfois le verbe de l’Anarchiste est cinglant et brutal, c’est parce qu’il souffre de voir que, malgré tous les exemples, tous les enseignements du passé, le producteur se laisse toujours prendre au piège que lui tendent les candidats de différentes couleurs.

« Notre monde civilisé n’est, en réalité, qu’une grande mascarade. On y trouve des chevaliers, des soldats, des docteurs, des avocats, des prêtres, des philosophes, et tout le reste ; ils ne sont que des masques sous lesquels, en règle générale, se cachent des spéculateurs. » (Schopenhauer) Eh bien !, c’est de tous ces hommes masqués que les Anarchistes se désolidarisent. Ils pensent que le mensonge a assez duré et que l’homme est assez grand pour comprendre la vérité.

Se désolidariser est un devoir pour tout être sincère, loyal et clairvoyant, lorsque sa solidarité est dangereuse au bien-être de l’humanité. Il faut avoir le courage, l’énergie, la volonté, de briser des sympathies, de s’aliéner des amitiés, de détruire des liaisons lorsque l’idée que l’on croit juste en dépend. Il en coûte parfois. Qu’importe ! Ce sont les nécessités de la lutte, les sacrifices indispensables au triomphe de la cause que l’on défend et rien ne doit arrêter l’anarchiste même si son

attitude doit soulever l’indignation des ignorants et des imbéciles.

Conscients du rôle qu’ils ont à jouer dans la lutte des classes, malgré les clameurs intéressées des profiteurs et des parasites sociaux, les anarchistes poursuivront leur route, se désolidarisant de tous les corrupteurs et soutenant toujours avec une inébranlable abnégation, les véritables lutteurs qui, en détruisant le présent, préparent l’avenir.


DÉSORDRE. n. m. Défaut d’ordre, dérèglement dans le fonctionnement d’un corps constitué ; manque d’organisation. Confusion, dérangement. Mettre tout en désordre. Des cheveux en désordre. Le désordre du bureau. « Mes papiers et mes livres sont restés dans un désordre épouvantable » (J.-J. Rousseau). Le désordre des finances ; le désordre politique ; le désordre administratif ; le désordre parlementaire.

Avec un cynisme déconcertant, la bourgeoisie, inspirée sans doute de ce même esprit qui fait que le coquin crie « au voleur » pour se débarrasser des poursuivants qui le menacent, a fait du mot « Anarchie » le synonyme de désordre et pourtant il ne peut exister un organisme qui symbolise plus parfaitement le désordre que l’État social bourgeois. On se demande comment les peuples peuvent être assez aveugles pour ne pas apercevoir le dérèglement de la chose publique, dérèglement qui s’accentue de jour en jour et se terminera par la déchéance et la ruine, s’ils ne se décident pas à mettre un frein à l’incohérence les dirigeants.

C’est dans tous les domaines de l’activité : politique, économique et sociale que se manifeste le désordre inhérent à la Société capitaliste, et il faut toute la naïveté, toute l’inconscience des masses populaires pour considérer comme ordonnée une société qui évolue dans un fouillis et une confusion perpétuels. Les anarchistes qui ne se nourrissent pas d’illusion ont une conception plus nette des réalités, et pensent que te mot désordre est plus conforme à la vérité et s’applique admirablement pour qualifier ce que l’on appelle « l’ordre bourgeois ».

La démonstration de ce que nous avançons nous paraît facile. Le Larousse nous enseigne que l’ordre est « La disposition des choses d’une manière utile et harmonieuse, le fonctionnement régulier ; la qualité de ceux qui aiment l’arrangement, la méthode : la règle établie par la nature, etc., etc… »

Acceptant cette définition de l’ordre il est alors bien simple de démontrer que l’organisation bourgeoise s’oppose dans ses moindres rouages à l’harmonie, à l’arrangement et à la méthode. En effet, peut-on sincèrement qualifier d’ordonnée, une Société, qui, si nous prenons la France en exemple, est obligée de se dépenser presque uniquement à chercher des remèdes aux troubles continuels qui agitent sa population ? En France, sur une population de 40 millions d’habitants, près de deux millions d’hommes : soldats, policiers, magistrats, gendarmes, gardiens de prison, douaniers, etc., etc., sont arrachés, d’un bout de l’année à l’autre, à tout travail utile et productif, afin que « l’ordre » soit maintenu au sein de la nation. Une telle conception de l’ordre est inimaginable et il faut pour s’y soumettre avoir eu le cerveau atrophié dès l’enfance par l’éducation bourgeoise. Si l’ordre existait réellement, il ne serait pas nécessaire qu’une telle armée soit mise à son service. La réalité c’est que face au désordre qu’elle engendre, la bourgeoisie est obligée de prendre des mesures si elle ne veut pas être engloutie dans le chaos.

Chaque jour un nouveau conflit divise les diverses classes de la population et la cause initiale de ces