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La question de la population ne peut donc être pour le travailleur qui y est le plus particulièrement intéressé, un problème d’avenir, mais un problème d’une réalité brutale qu’il a le devoir d’étudier et de résoudre.

Pour les classes opprimées, ce n’est pas la surpopulation qui détermine l’arrêt dans la procréation, car, obligées de se livrer chaque jour aux difficultés de la vie, elles restent ignorantes des grands problèmes sociaux de l’avenir. Mais ce que les travailleurs n’ignorent pas, ce sont les charges terribles qu’occasionne la naissance d’un petit être, c’est l’esclavage qui en résulte, et la crainte de ne pouvoir satisfaire aux besoins les plus élémentaires d’une nouvelle bouche. Un enfant dans le foyer plébéien, mais c’est le salaire de la semaine qui se divise en trois ; c’est l’abandon de l’atelier ou du bureau par la maman ; en un mot c’est l’augmentation des charges et la diminution des possibilités de vie. Or, le peuple demande à vivre maintenant. Lui aussi s’éduque chaque jour un peu plus au grand livre de l’Histoire et il en a assez de l’esclavage qu’il subit depuis des siècles et des siècles ; il aspire à un peu de joie, de bonheur et de liberté. Les joies familiales lui sont refusées puisque, pour le travailleur, la famille n’est qu’une source de larmes ; alors, il cherche ailleurs et il constate que la science lui a donné le moyen d’amoindrir sa détresse ; qui donc ira le lui reprocher ? Aucune loi au monde, nous le répétons, ne peut contraindre à procréer ; il est donc inutile à la bourgeoisie de se lamenter sur un état de choses qu’elle a créé, qu’elle a voulu, qu’elle a cherché, en refusant à chacun la possibilité de se nourrir et de vivre humainement.

Pour son expansion, le capitalisme a besoin présentement d’une augmentation de la population dans certaines parties du globe ; mais l’humanité qui souffre aujourd’hui des ravages occasionnés par l’intérêt du capitalisme, refuse de se livrer à une prolification désordonnée. En agissant ainsi, le peuple travaille non seulement pour le présent mais il travaille aussi inconsciemment pour l’avenir, puisque, de cette façon, il écarte le danger de la surpopulation qui pourrait être fatale à l’humanité. Il remplit donc son rôle historique et c’est bien. Demain, lorsque les nuages se seront effacés, et que le peuple libéré des entraves qui le maintiennent dans un demi-esclavage pourra en pleine quiétude envisager l’avenir, il se penchera alors sur le brûlant problème de la « population », et la science aidant il triomphera de tous les obstacles.


DÉPUTÉ. Celui qui est chargé d’une députation ; qui remplit une mission au nom d’une nation ou d’un souverain.

Dans le langage courant, on désigne sous le nom de député le personnage chargé de représenter le peuple aux Assemblées législatives. En France il y a deux Chambres législatives : la Chambre des députés et le Sénat. On appelle députés ceux des membres qui siègent à la première et sénateurs ceux qui siègent à la seconde.

La Chambre des députés se renouvelle tous les quatre ans ; pour être éligible, il faut être Français et avoir 25 ans d’âge. Chaque département nomme autant de députés qu’il a de fois 75.000 habitants, il y a donc en France 626 députés dont 24 pour l’Alsace et la Lorraine. Les députés touchent un traitement de 45.000 francs par an, mais nous verrons plus loin que ce salaire n’est pas le plus clair de leurs ressources et que la place ne manque pas d’être avantageuse. La personne d’un député est inviolable. Aucun membre de l’une ou l’autre Chambre législative, c’est-à-dire député ou sénateur, ne peut être poursuivi ou arrêté, en matière criminelle ou correctionnelle pendant la durée de la session parlementaire. Seule, l’Assemblée peut permettre les pour-

suites par la levée de l’immunité parlementaire, mais elle ne le fait que pour des raisons exceptionnelles et très rarement.

En vertu des lois démocratiques, chacun a le droit d’être député, il suffit, pour cela, ainsi que nous le disons plus haut, d’être Français et d’avoir 25 ans d’âge ; il semblerait donc que le député est le fidèle représentant du peuple et qu’il défende, ainsi qu’il en est chargé, les intérêts de ses électeurs. Le peuple a cette croyance naïve ; et les batailles électorales sont chaudes et parfois violentes, lorsqu’il s’agit de réélire ou d’élire les candidats qui se présentent. La place est recherchée, cela se conçoit, et l’électeur naïf qui ne connaît de la politique que son côté superficiel se dispute, espérant que son candidat — qui ne peut être que le meilleur — triomphera des adversaires et qu’ainsi sortira victorieuse la politique qui lui paraît susceptible d’améliorer son sort. Pas une minute l’électeur ne suppose que le candidat puisse être un charlatan qui se moque de lui et se fiche de son bien-être et de sa liberté ; pas une minute il ne doute de sa sincérité et de son dévouement. A ses yeux, son candidat est un être sublime qui se dévoue à une cause et qui sacrifie ses propres intérêts pour soutenir et défendre ceux de ses semblables, et l’électeur se prosterne devant tant d’abnégation.

Car en effet si l’on considère la façon dont le député se présente à l’électeur, il faut reconnaître que cette fonction est pour celui qui en est chargé une source d’ennuis et de tracas. Le député, avons-nous dit, est élu pour quatre ans et touche annuellement un salaire de 45.000 Fr., ce qui fait pour une législature 180.000 francs. Cela peut paraître excessif, mais l’électeur s’est-il jamais posé cette question : à savoir combien coûte une élection ? Probablement non ; car l’électeur ne pénètre pas dans le fonds de la politique et ne s’arrête qu’à la surface. Or, une élection est une bataille, et une bataille qui ne se livre pas à coup de fusils mais à coup de publicité, de propagande ; et cette bataille coûte cher. Pour réussir dans sa tentative, le candidat doit s’attacher la presse, inonder les murs d’affiches, payer des propagandistes qui travaillent le collège électoral, et cela ne se fait pas sans argent. Au bas mot, on peut dire que, de nos jours, une élection coûte au moins 100.000 Fr. Faut-il encore les posséder, car celui qui ne peut répondre à toutes les exigences publicitaires peut être certain d’être submergé par ses adversaires et en conséquence arriver bon dernier. Il ne suffit donc pas, ainsi que cela semble, pour décrocher un mandat, d’être Français et d’avoir 25 ans d’âge, mais pour être juste il faut ajouter, qu’il est indispensable de posséder 100.000 francs. Nous voyons donc que sur les 190.000 francs que touche un député, il ne lui en reste plus que 90.000, et encore nous supposons que le candidat fut élu, sinon il a purement et simplement perdu 100.000 francs. Et voilà pourquoi le peuple s’imagine que son député est un homme sincère et dévoué, car, aussi désintéressé soit-on, il est peu d’individus qui soient prêts à risquer 100.000 francs pour en gagner 90.000. Mais ce que le peuple ignore, c’est que la plupart dés candidats sont patronnés par de grosses firmes industrielles et de grosses entreprises financières qui ont la faculté de jeter tout l’argent nécessaire dans la bataille, et que, une élection étant une bataille d’argent, lesdits candidats sortent toujours victorieux. Et de cette façon la finance et l’industrie ont à la Chambre des députés leur représentant direct. Ce que le peuple ne veut pas comprendre, c’est que le député n’est pas un agent politique chargé de défendre ses intérêts mais un agent commercial qui a une mission à remplir auprès des gouvernants et que cette mission consiste à arracher à l’Etat le plus possible en faveur des établissements qui l’ont placé là.