Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/509

Cette page a été validée par deux contributeurs.
DEF
508

La Révolution que nous voulons et pour laquelle nous militons aujourd’hui et nous combattrons demain de toutes nos forces, c’est la Révolution sociale. Qu’est-ce que cette révolution sociale ? — Celle qui aura aboli toute exploitation de l’homme par l’homme : patronat, militarisme, État. Celle qui substituera au gouvernement des hommes par les hommes, l’administration des choses par le producteur. Celle qui, à la place de la société autoritaire et centraliste instaurera la société fédéraliste libertaire.

C’est à la défense de cette révolution-là, et, de celle-là seulement, que nous voulons nous employer. Nous aurons donc à la défendre contre trois genres d’offensives : 1° celle des capitalistes et gouvernants actuels à l’intérieur ; 2° celle que ces gouvernants et possédants chassés pourraient tenter avec le concours de l’extérieur ; 3° celle de tous les politiciens arrivistes au faux-nez révolutionnaire qui tenteront à tout prix d’escamoter la révolution à leur profit.

La première offensive fait partie de la révolution ; c’est la révolution elle-même. Nous savons très bien que les capitalistes ne se laisseront pas déposséder sans résister, mais c’est l’action du peuple en révolte qui les chassera petit à petit. A l’offensive que pourraient tenter les capitalistes concentrés dans une région non touchée par la révolution, nous répondrons par une énergique défensive, et ceci touche à la deuxième manière puisque les provinces non révoltées ne feraient pas partie de la Fédération révolutionnaire, et qu’elles seraient, par conséquent, à l’extérieur de la révolution.

Supposons donc que, chassés du pouvoir, les possédants actuels se retirent dans quelque région réactionnaire ; que de là, ils demandent aide aux gouvernants étrangers, et que ceux-ci envoient des troupes pour mettre le peuple « à la raison ». Nous pourrions faire cette remarque, que rien ne prouve que nous serons les premiers en Europe à nous révolter, qu’il se pourrait qu’avant nous l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne aient accompli leur libération, qu’en ce cas nous n’aurions pas grand’chose à craindre. Nous pourrions aussi objecter qu’il se pourrait qu’une révolution déclenchée en France amenât les peuples voisins à imiter le geste. Mais nous voulons envisager la question comme si nous étions les premiers à nous insurger. Y a-t-il nécessité d’un gouvernement, de défense, d’une armée rouge obéissant à ce gouvernement et faisant partout respecter ses édits ? On nous dit : « Oui, il faudra une armée docile, disciplinée, organisée, entraînée encadrée, avec des états-majors solides, choisis par le Gouvernement prolétarien. Il faudra une préparation de plus en plus forte ; que tous les ouvriers soient astreints à cette obligation militaire. En un mot, il faudra décréter la mobilisation générale. »

Pourquoi tant de mesures dictatoriales ? Pourquoi une « mobilisation générale » du prolétariat ? — « Parce que, sans cela, beaucoup se refuseront à marcher contre les réactionnaires ; chacun voudra laisser cette besogne a son voisin. Il faudra donc obliger tous les ouvriers et paysans à marcher. »

Croit-on, par hasard, que c’est avec des soldats qui marchent, à contre-cœur que l’on assure une bonne défense ? Croit-on que « tout le monde » rechignera ? Si la révolution est faite par le peuple et pour le peuple ; si dès le début de ce mouvement, le prolétariat sent que c’est véritablement sa libération que la révolution lui apporte ; s’il est convaincu que ce n’est pas simplement un changement de maîtres qu’il subit, le peuple se dressera unanimement pour défendre sa liberté et sa vie.

Prenons les exemples de l’Histoire : En 1792 quand Brunswick eut adressé à la Convention son insolent ultimatum, y avait-il une armée permanente ?

Que fit la Convention ? Elle décréta « la Patrie en danger » et fit un appel pressant à tous les citoyens pour défendre la Liberté contre les armées des tyrans coalisés. L’appel resta t-il vain ? Que non pas ! De toutes parts, sur les places publiques, des estrades avaient été dressées où l’on inscrivait les volontaires. Il y eut un élan d’enthousiasme indescriptible. En quelques jours, une formidable armée fut sur pied, cette armée de « sans-culotte », ainsi dénommée justement parce qu’elle n’était pas une armée de métier. Les chefs de cette armée de volontaires étaient-ils gens du métier ? Ceux qui en furent : Dumouriez, Moreau, Pichegru, Bonaparte, Bernadotte, finirent tous par trahir la révolution. Mais les Marceau, les Hoche, les Kléber, les Kellermann, les Desaix et autres, étaient-ils des gens rompus à la théorie ? — Non : le plus gradé de tous était sergent d’écurie ! Cette phalange de volontaires pourtant tint tête à toutes les armées étrangères ; mieux : elle les repoussa.

Pourquoi cette armée ne sauva-t-elle pas la révolution d’une façon définitive ? Pour plusieurs raisons.

La première, c’est que la mystique des individus existait encore. Il n’y avait pas bien longtemps que ces « sans-culotte » croyaient en la légende du « bon père, notre Roi ». Ensuite ce furent, leurs députés au corps législatif en qui ils placèrent. leur confiance, puis, enrôlés volontaires, ce fut en leurs généraux. C’est pourquoi nous voulons, dès aujourd’hui, dire hautement que le prolétariat ne se sauvera, que lorsqu’il ne comptera que sur lui-même pour ce faire ; qu’il ne doit pas attendre d’hommes ou de partis son salut, que c’est lui, et lui seul, qui le tient entre ses mains.

La seconde raison, c’est qu’il y avait à la tête de la révolution des hommes politiques ne se préoccupant que de faire prévaloir leurs théories politiques : lutte entre Girondins et Montagnards, d’abord ; lutte entre Montagnards ensuite ; lutte entre Robespierre et Barras après ; et que ces « politiciens » passaient leur temps à s’excommunier, à se lancer des injures, à s’envoyer à la guillotine au lieu de donner tout leur temps à l’unique défense de la République. Pendant qu’ils se livraient à ce travail « d’épuration », les armées de volontaires repoussaient les armées réactionnaires, mieux même : pénétraient à leur tour dans les pays voisins où elles instauraient ce qu’elles croyaient être la Liberté, mais qui n’était que le proconsulat de leurs généraux. Ceux-ci n’eurent pas de peine à devenir bientôt plus populaires que les pourvoyeurs de guillotine. Et quand Bonaparte tenta son coup d’État, il fut approuvé par tout un peuple las de l’incapacité de ceux qu’il avait mis à. sa tête. C’est pourquoi nous disons au peuple que lorsqu’il aura chassé ses maîtres actuels, il lui faudra empêcher que d’autres se mettent à leur place qui ne feraient, comme ceux-ci, que de la besogne de parti et non de classe.

La troisième raison que je veux indiquer, c’est que l’armée, en étant organisée par Carnot, prit figure d’armée permanente avec tous ses cadres, ses états-majors. Et que ces états-majors, ces généraux, avec leurs pouvoirs sur la troupe, entraînèrent celle-ci dans l’aventure napoléonienne qui leur assurait le maintien de leurs grades. C’est pourquoi nous sommes contre tout système militariste qui corrompt les chefs et avachit les subordonnés.

Si cette armée de volontaires avait été organisée sur le plan d’une armée provisoire ; si les sans-culotte étaient, restés, même à l’armée, des hommes ayant tous leurs droits ; si cette armée n’avait été considérée que comme un outil de défense, et si les soldats eux-mêmes avaient été chargés d’élire leurs chefs avec pouvoir de les révoquer ; si ces chefs n’avaient pas été autre chose que des délégués techniques, l’armée des sans-culotte