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masse à des actes décisifs. Elles savent qu’en écrasant les groupements révolutionnaires avant ou dès le début, d’un mouvement, elles écraseront en même temps la plus grande force dont la révolution pourrait disposer, puisque ce serait la force morale et populaire. Aussi emploient-elles des moyens divers pour décimer les groupements.

La provocation, le mouchardage (voir provocateur, mouchard), constituent des moyens préventifs.

Dans l’étude de ces deux mots, nous dirons comment on peut se prémunir.

Mais il y a les moyens de lutte contre-révolutionnaire. Ligues civiques, faisceaux, chefs de section, syndicats jaunes, etc., etc., composent toute une échelle d’organismes destinés à entraver la propagande ou à se débarrasser des militants révolutionnaires. Ce sont tous des groupements recrutés, organisés, armés, protégés et subventionnés — soudoyés serait plus juste — par les classes dirigeantes. Tout cela constitue un fascisme (voir fascisme) prêt à réprimer d’abord, à s’imposer ensuite et à opprimer enfin.

Les capitalistes, pour conserver leurs prérogatives matérielles, seraient prêts, malgré qu’ils préfèrent le régime hypocritement libéral que nous subissons, à instaurer une dictature militaire ou civile, plutôt que de voir leur prépondérance s’atténuer.

On sait, par les exemples d’Italie et d’Espagne comment, avant la prise du pouvoir, le fascio et les Somaten agirent à l’égard des organisations ouvrières de ces deux pays : assassinats, expéditions armées, assommades, etc.

Pareil mouvement s’organise en France : chemises bleues, jeunesses catholiques ou patriotes s’arment dans l’ombre, au su des gouvernants qui les tolèrent, et, si nous n’y prenons pas garde, la même aventure pourrait nous advenir.

Que faut-il faire pour défendre le mouvement révolutionnaire ?

Les uns nous disent : « Il faut organiser un parti de classe puissant et discipliné dont les cadres, sévèrement composés d’hommes intégres et éprouvés, imposeront leur décision et leurs mots d’ordre aux adhérents. Il faut que ces adhérents soient prêts à répondre immédiatement à tout appel et à obéir aveuglément aux ordres de ce Comité-Directeur. En un mot, il faut organiser une armée pré-révolutionnaire. »

D’autres avancent : « Il faut que toutes les organisations d’extrême-gauche envoient des délégués à une réunion commune qui constituera le front unique révolutionnaire, qui lancera partout ses mots d’ordre et qui organisera la riposte, voire même l’offensive et fera ainsi, de par l’unité révolutionnaire, de cette riposte ou offensive, un mouvement de grande envergure qui s’amplifiera vite en révolution. »

En ce qui concerne le « parti de classe », il a été dit et il sera dit dans les mots : armée, communiste (parti), militarisme et militarisation tout ce qui doit être objecté à cette thèse. Quant au « Comité d’action et d’unité révolutionnaire », nous savons par expérience qu’il ne rendrait rien du tout, sinon qu’il retarderait, entraverait et peut-être empêcherait toute défense utile. Trop de divergences théoriques, idéologiques et tactiques se feraient jour, trop d’incompatibilités se révéleraient ; les délégués passeraient leur temps à disserter, à ergoter, à discutailler… pendant que l’ennemi agirait autrement qu’en paroles. Un tel comité deviendrait, comme tous ses devanciers, un « Comité d’Inaction ».

Nous pensons que la défense révolutionnaire immédiate doit être organisée plus sérieusement, plus méthodiquement que des deux manières sus-indiquées. Il faut en revenir, qu’on le veuille ou non, aux groupes secrets. Groupements constitués par affinité des compo-

sants. Par maison, par rue, par quartier, par localité, par atelier, chantier ou entreprise, les révolutionnaires se connaissant bien, soit qu’ils aient vécu, travaillé ou milité ensemble d’une façon intime, formeraient de petits comités qui auraient pour but de défendre le mouvement. S’armer n’est pas la besogne la plus essentielle de la défense pré-révolutionnaire. Il faudrait se livrer à tout un travail pour ainsi dire technique : connaître la topographie des lieux dans lesquels ils vivent, des points de résistance possibles, connaître les armuriers locaux, et puis les adresses de tous ceux qui, à un titre quelconque, pourraient être dans l’action fasciste : flics, gendarmes, membres d’organisations réactionnaires, personnages influents, etc., etc. De façon qu’au premier acte fasciste on puisse ainsi riposter du tac au tac.

On peut être bien certain que les fascistes connaissent les adresses des principaux militants révolutionnaires et, qu’à la première occasion ils s’en serviront. Eh bien ! pour un des nôtres, un des leurs ; nous pourrons même pratiquer à leur détriment la politique des otages qu’ils prônent si. fort. Dans la lutte, il faut savoir employer toutes les armes disponibles. « Ou combattre par tous les moyens, ou périr » tel est le dilemme. Ces organismes secrets pourraient s’unir à d’autres du même genre pour assurer une unité d’action dans la localité, la région, etc. Ils auraient le mérite d’être composés de copains sûrs, sérieux et décidés à tout pour éviter qu’une dictature quelconque s’instaure, et même pour essayer de faire prendre tournure révolutionnaire à tout mouvement de riposte.

Il y aurait là une organisation sérieuse qui ne serait composée ni de bavards impénitents, ni de politiciens avides de pouvoir politique. Bien entendu, ici, nous exposons cela en bref, car il nous faudrait occuper un nombre de pages trop considérable si nous voulions définir dans tous ses détails une telle préparation de défense révolutionnaire. La fédération de ces groupes (qui pourrait prendre divers aspects) assurerait toute la puissance d’une action efficace, le caractère secret et affinitaire, en laissant ignorer à tous autres leur existence, lui donnerait la force de la spontanéité et de l’imprévu.

Pendant la Révolution. — Ici, nous touchons en plein au problème de la dictature. En effet, c’est au nom de la seule défense de la révolution qu’on prétend, dans certaine école révolutionnaire, instaurer une dictature provisoire.

On nous dit : « Si nous nous révoltons, les classes possédantes se défendront par tous les moyens. L’armée est à leur solde ; mais même si l’armée leur faisait défection, ils auraient un concours largement assuré de la part des gouvernants capitalistes voisins. Il nous faudra donc, dès le premier jour de la révolution, sitôt le gouvernement actuel dépossédé, accomplir notre coup d’état en nommant un gouvernement prolétarien qui aura à charge d’organiser une armée rouge disciplinée. Ce gouvernement aura des pouvoirs dictatoriaux et tous devront, sous peine des plus graves sanctions, y compris la peine de mort, obéir aveuglément aux commissaires du Peuple »

Nous voudrions bien, auparavant, qu’on nous dise ce qu’on entend par Révolution. Ce mot, s’il n’est accompagné d’un qualificatif n’a, pour nous, qu’une bien vague signification. Si cette révolution n’a pour but que de changer de place les gouvernants, si c’est uniquement l’accession au pouvoir d’un parti politique, quel qu’il soit, que vise cette révolution ; pour nous c’est une révolution politique, en un mot un coup d’état. Alors, mieux vaut dire tout de suite que nous n’en sommes pas ; que cette révolution n’est pas la nôtre.