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débinage est dangereux, car il se trouve toujours des gens pour prêter une oreille complaisante aux commérages et s’associer à une mauvaise action ; celui qui se livre au débinage n’hésite jamais à user du mensonge et de la calomnie lorsqu’il n’a rien à reprocher à sa victime. Il arrive parfois que le débinage n’est pas déterminé par la méchanceté ou le désir de nuire, mais simplement par l’insouciance d’un individu bavard. Il faut néanmoins se méfier des « débineurs », car le « débinage » a souvent de graves conséquences et est toujours malfaisant.


DÉBINER. verbe. Le dictionnaire Larousse donne « débiner » comme synonyme de « dénigrer », autrement dit chercher à nuire, à faire tort, apprécier péjorativement un geste ou un acte. Quiconque fréquente les milieux d’avant-garde a pu remarquer avec quelle facilité (indigne d’humains qui se présentent comme porteurs d’idées, de pensées, de doctrines destinées à rénover la face du monde) on y « débine » les militants qui ont une façon de se conduire ou de s’exprimer qui ne plaît pas au débineur. On est étonné d’entendre des anarchistes — c’est-à-dire des négateurs et des contempteurs de l’État et de ses institutions — qui s’affirment dépouillés des préjugés ou des habitudes vulgaires, porter sur telle façon de se comporter des jugements qui ne seraient pas hors de saison dans la bouche d’un procureur de la République ou d’un président de tribunal correctionnel. Qu’est-ce que juger un geste, apprécier une façon de se conduire ? C’est opiner que, se trouvant dans telles ou telles circonstances, on aurait agi, avec le déterminisme qui nous est propre, autrement que celui dont on qualifie les actions, lequel a agi, lui, selon son déterminisme personnel. Or, celui qui juge ou apprécie omet de dire cela ; si bien que son appréciation ou son jugement est entaché de « débinage », de nature à nuire ou à porter tort à un camarade, dont le seul crime est d’avoir un tempérament différent du sien.

Il n’y a pas que des « débinages » se rapportant à des actions individuelles ; il y a aussi des « débinages » de méthodes, de tactiques ; d’œuvres de nature à porter tort également à ceux qui les emploient ou s’y adonnent.

D’ailleurs, une façon de se conduire, une manière d’agir, un rejet, une réalisation sont anarchistes dès lors qu’ils n’ont pas recours à l’appui de l’État ou à l’intervention d’une autorité gouvernementale quelconque, dès lors qu’ils n’ont pas en vue, et dans aucun sens, la domination ou l’exploitation. « Débiner » un camarade, chercher à lui porter tort dans ce qu’il est ou ce qu’il fait, simplement parce que l’on ne comprend pas ou ne parvient pas à s’assimiler son déterminisme, son tempérament, son caractère, ce n’est pas seulement faire acte d’anti-camaraderie, c’est montrer qu’on est un ignorant.


DÉBROUILLAGE. n. m. Action de se débrouiller, de se tirer facilement d’affaires, de sortir d’embarras, etc., etc…Si on le considère au point de vue social comme moyen d’existence, le débrouillage est un pis-aller ; il peut donner des résultats positifs à l’individu, mais il ne saurait résoudre le problème du collectif. Les débrouillards sont nombreux dans la société bourgeoise et il est facile à comprendre que dans une organisation sociale où le capital est tout-puissant et où le travail est un esclavage, quantité d’individus refusent de se soumettre à la terrible loi et aux effets de l’exploitation et cherchent à se « débrouiller » pour subvenir à leurs besoins. Il ne nous appartient pas de rechercher et de juger les formes diverses du débrouillage et de critiquer ceux qui s’en servent. Ce que nous croyons, c’est qu’il n’offre pas des possibilités de vie supérieures à

celles des ouvriers, qu’il ne libère pas l’individu des contraintes sociales et qu’il n’est nullement un facteur d’évolution ou de révolution. En tenant compte des exceptions, nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que le « débrouillage » ne nourrit pas son homme, surtout dans la classe ouvrière. Dans la bourgeoisie, c’est différent ; la bourse, la banque, le commerce, l’industrie, sont des terrains propices à être exploités par les débrouillards ; mais il faut alors se livrer à des spéculations malpropres et user de procédés que combattent les Anarchistes.

En un mot, il n’est pas plus anarchiste de vivre du « débrouillage » que de vivre en travaillant et ce serait une grave erreur de croire que l’on se soustrait à l’exploitation et à l’autorité en se débrouillant. À condition de ne pas nuire à son prochain, chacun organise sa vie comme il l’entend, mais une société libre ne peut être bâtie que par le travail de tous et nous avons la ferme conviction que le débrouillage disparaîtra avec le capitalisme qui l’engendre.

DÉBROUILLAGE. Des bourgeois qui défendent leurs privilèges et des pseudo-bourgeois qui se croient à l’avant-garde du mouvement social parce qu’ils parlent dans des « meetings » ou écrivent dans des feuilles avancées, ont reproché ou reprochent encore à des individualistes anarchistes de chercher à « se débrouiller », autrement dit à retirer le plus qu’ils peuvent du milieu humain actuel, en lui laissant le moins possible de leur effort. Ceux qui font de tels reproches oublient de quelle façon est cimentée la « société ». Ils oublient qu’elle repose sur un contrat social imposé et unilatéral, qui noie l’unité constituante, forcée de le subir, dans un océan de réglementations et de vexations contradictoires et insupportables. Reprocher à un anarchiste de « se débrouiller » dans un pareil conglomérat, c’est comme si on reprochait au serpent d’échapper à qui le poursuit en se raidissant et en prenant l’apparence d’une branche d’arbre, ou à la seiche de s’entourer d’un nuage d’encre noire pour désorienter ses ennemis. Qu’on se rende compte de la situation de l’anarchiste dans le milieu humain actuel : antiautoritaire, il est entouré de tous côtés par toutes sortes de membres de partis politiques ou économiques qui ne croient pas possible que les hommes s’entendent sans lois et sans maîtres. À ces partis se rattachent force miséreux et déshérités du sort, dont la mentalité ne diffère pas de celle des possédants et des monopoleurs. On comprend que des camarades se refusent à donner tout leur effort à perpétuer un tel milieu et qu’ils s’insoucient de sa prospérité, de son équilibre économique, etc… Dans aucun cas, un anarchiste ne peut avoir intérêt à ce que vive un milieu où le « contrat social » est imposé par un autocrate, un groupe, une majorité ou le plus grand nombre, sans possibilité de résiliation pour l’unité individuelle. C’est un cercle infernal dont l’individualiste cherchera à s’évader au plus tôt, relativement tout au moins. C’est un milieu dont il faut hâter au plus tôt la décomposition, la démoralisation, la pourriture, la crevaison enfin. Vouloir se préoccuper du bon fonctionnement d’une société pareille, participer à son existence régulière, c’est tout bonnement — affirment les « débrouillards » — faire gestes de dupes ou actions de complices.

Il y a donc des camarades qui se débrouillent et donnent le moins de leur soi au milieu humain actuel, se livrant à une besogne irrégulière, sanctionnée ou non par l’autorité, pour se tirer d’affaires économiquement, refusant de faire, des heures durant, acte de présence dans un chantier, une usine ou ailleurs pour concourir à une production souvent inutile, dont ils ne profitent pas dans la majorité des cas. Qui peut sérieusement les en blâmer ?