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transformisme, tout en menant de front ses travaux personnels. On peut le compter au nombre des principaux émancipateurs de la pensée humaine au xixe siècle.

Les adversaires du transformisme, devant l’affirmation que le singe ne diffère point de l’homme, réclamèrent des intermédiaires ou passages, mais lorsqu’on en eût trouvé, comme le pithécanthrope, ils nièrent leur valeur ou authenticité.

En 1871, Darwin publia la Descendance de l’homme par voie de sélection naturelle. C’était le pendant et le complément de l’Origine des espèces. Dans ce nouveau livre, l’auteur, pratiquant la tolérance la plus large et ménageant la susceptibilité de ses lecteurs, n’en affirme pas moins avec plus d’autorité que jamais l’idée directrice de son œuvre. Parmi les autres ouvrages de Darwin, citons son Voyage d’un naturaliste autour du monde, de 1831 à 1836 (1840-1842), contenant les résultats de l’expédition scientifique du Beagle sur les côtes de l’Amérique du Sud ; Les récifs de corail (1842), Variation des animaux et des plantes à l’état domestique (1860), La fécondation des orchidées par les insectes (1801), L’expression des émotions de l’homme et des animaux (1872), Les mouvements et les habitudes des plantes grimpantes (1875), Les plantes carnivores (1875), Les effets de la fécondation directe et de la fécondation croisée dans le règne végétal (1878), La faculté du mouvement chez les plantes (1880), Le rôle des vers de terre dans la formation de la terre végétale (1881), dans lequel il examine le rôle des infiniment petits, etc….

Lorsque Darwin mourut, en 1882, il laissait une œuvre qu’on peut qualifier de monumentale. Par la somme d’idées qu’il avait remuées, il avait engagé la philosophie dans une voie nouvelle. L’élan était donné. La pensée humaine marchait dans la voie de l’émancipation. Un coin du voile qui nous dérobe la réalité avait été soulevé. Le darwinisme n’était pas autre chose qu’une réponse rationnelle faite au problème de l’origine de l’homme. Celui-ci n’est pas sorti parfait des mains d’un prestidigitateur divin, qui l’a tiré du néant, par un tour de passe-passe, mais il est l’œuvre de la nature qui a mis des siècles à le former. D’une cellule originelle, qui a pris naissance au sein des mers primitives, sont sorties en se diversifiant toutes les espèces vivantes, plantes et animaux (dans lesquels entrent les substances dont sont formés les minéraux). Les pré-vertébrés sont devenus des vertébrés marins d’abord, ensuite terrestres. L’un de ces derniers, le rameau simien, a donné naissance à l’homme.

Si la théorie de l’évolution s’applique à l’animal, pourquoi ne s’appliquerait-elle pas à l’homme ? Pourquoi serait-elle fausse en ce qui le concerne ? L’homme, comme les animaux, dont il fait partie, n’a pas été créé, selon son espèce, comme chacun d’eux, il n’a pas fait l’objet d’une création spéciale. Il rentre dans le rang. Cette doctrine rabaisse l’orgueil des imbéciles, convenons-en.

Darwin remit en honneur une théorie que le dogmatisme de Cuvier avait failli étouffer. Sans doute, Darwin croit beaucoup à Lamarck, qu’il paraît ignorer, car il ne lui rend point justice, mais Lamarck doit au darwinisme d’être revenu en faveur, triomphe auquel il n’a point assisté, mais que sa fille Cornélie, lui avait prédit lorsque, découragé, lâché par tous, aveugle, il se promenait tristement, à son bras, dans les jardins du Muséum. Il fallut le darwinisme pour que le transformisme fût tiré de l’oubli. Le darwinisme remplaça désormais le transformisme que l’on continua de combattre en sa personne.

Le darwinisme appliquait aux êtres organisés la même méthode qu’à la matière inorganique. D’où protestations de la part des fanatiques de la religion et aussi de la science, car celle-ci a ses fanatiques, qui en font une pseudoscience. L’autoritarisme sous toutes ses for-

mes voyait dans le darwinisme l’ennemi ! Celui-ci heurtait de front la tradition qui n’avait jamais subi un pareil assaut. Pour la première fois, elle chancelait. Le monstre était mortellement atteint.

Le darwinisme était, comme le lamarckisme, une réaction contre le créationnisme, solution paresseuse, qui explique tout, sans rien expliquer.

Avec le darwinisme, point d’intervention surnaturelle dans l’explication des phénomènes de la vie. Point de création miraculeuse, mais au contraire explication logique, naturelle, des faits, ne pouvant se produire sans cause. Tous les faits se tiennent, sont solidaires. Le présent provient du passé, et lui-même contient l’avenir. Avec le darwinisme, ni la terre n’est le centre de l’univers, ni l’homme n’est le principal habitant de la terre. Il fait justice à la fois et du géocentrisme et de l’anthropocentrisme. Ainsi, il ouvre à l’esprit de perspectives inouïes. Même si cette doctrine était fausse, elle serait encore créatrice parce que, en rejetant le point de vue téléologique, le finalisme, dont se contentent les cerveaux simplistes, elle a renouvelé les méthodes des sciences.

Le fanatisme sert les idées en les faisant connaître. Celui-ci n’a retenu du « darwinisme » que la descendance de l’homme, ce qui a attiré sur elle l’attention. « L’homme descend du singe » est devenu la terreur des gens bien pensants. Ils n’ont vu que cela dans le transformisme, et parce qu’ils n’ont vu que cela, ils ont contribué malgré eux à l’évolution des idées. Darwin, nous l’avons dit, ne s’était pas étendu là-dessus outre mesure, mais cette conclusion découlait de tous ses écrits. Pour les partisans de la Bible, l’arche de Noé tranchait la question ! Les libres-penseurs, auxquels les socialistes s’étaient joints, transportant la question sur le terrain sociologique comme les croyants l’avaient fait sur le terrain de la foi, prirent parti pour le diable. Haeckel qui, avec Darwin, a puissamment contribué à la diffusion des idées transformistes, voulait extraire un « catéchisme » du darwinisme, en quoi il avait peut-être tort : tous les catéchismes se valent, c’est-à-dire qu’ils ne valent rien.

À peine né, s’il rallia les meilleurs esprits, le darwinisme s’était heurté à une opposition systématique de la part de certains tardigrades résumant l’indignation et les scrupules des gens honnêtes et bien pensants. La doctrine qui niait la création distincte de chaque espèce et de l’homme trouva devant elle l’ignorance et la mauvaise foi. Ajoutons cependant que des savants se fourvoyèrent dans cette opposition, ne voulant pas démordre de leurs théories.

Le suisse Agassiz, dont il faut louer la haute probité, fut de ceux-là. Agassiz était finaliste. Il croyait de bonne foi qu’une pensée créatrice avait présidé à l’adaptation de chaque être à son milieu. Cela lui suffisait. En vain ses propres travaux venaient à l’appui du transformisme. Agassiz se contentait de sa première idée : chaque espèce avait été créée par Dieu distinctement, et elle n’avait point varié. Ainsi accordait-il sa science et sa foi. Cependant, avant Serres et Muller, il avait reconnu que la succession des fossiles reproduisait les étapes de l’embryon au cours de son développement. Mais c’était encore l’œuvre de Dieu. N’empêche qu’il se mettait en contradiction ouverte avec la genèse, en affirmant que chaque race humaine avait été créée à part, alors que le genre humain avait, d’après elle, une seule origine unique. Darwin admirait beaucoup Agassiz dont les idées, au fond, servaient sa doctrine.

Autre fixiste de moindre envergure, l’académicien Flourens, protégé de Cuvier et père du communard Gustave Flourens, qui lui succéda dans sa chaire du Collège de France. Flourens père était le type du par-