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quable exception que nous offre a ce sujet la religion juive.

L’histoire de la philosophie nous enseigne que la première ou mieux la plus puissante réaction contre l’idée juive de création ex-nihilo, se fit en Grèce, où, 600 ans avant notre ère, Democrite, Anaxagore, Empédocle, Xénophane, etc., etc., repoussaient le surnaturalisme religieux et ne spéculaient que sur la matière formant l’univers. On sait aujourd’hui qu’Anaxagore se montra le plus net et le plus précis, et l’on s’accorde à reconnaître que de lui date l’opposition de l’idée d’évolution à celle de la création.

On reste stupéfait de voir que grâce à l’influence de Platon et à celle d’Aristote, le créationnisme se maintint longtemps, malgré l’effort presque miraculeux de la pensée philosophique au vie siècle grec. N’est-ce pas cette influence platonicienne et aristotélicienne qui, après les ténèbres du moyen-âge et les premières lueurs de la Renaissance, s’exerçant sur l’esprit puissant de Descartes et sur celui de Leibnitz, en fit les défenseurs de la création pure ? Cette double influence de Platon et d’Aristote, à laquelle surent résister les panthéistes allemands qui combattirent l’idée de création ex-nihilo, nous la retrouvons dans la philosophie contemporaine. L’école spiritualiste française, en effet, admet cette idée ; le philosophe Renouvier que le néocriticisme actuel reconnaît pour initiateur, a écrit pour la défendre ; et nous voyons aujourd’hui le suisse Secrétan, et les philosophes d’Action française rompre des lances en sa faveur dans les revues réactionnaires et catholiques.

On trouvera aux mots Darwinisme et Évolution, l’idée contraire développée avec toute l’ampleur qu’elle comporte. ― P. Vigné d’Octon.

Création (ex-nihilo). Quelque conception qu’on ait de ce que les adeptes des religions diverses appellent « Dieu », le geste créateur qu’on attribue à l’Être suprême et éternel, « tirant du néant l’Univers et créant toutes choses de rien » est d’une insoutenable absurdité. Et, dans cet ouvrage destiné à arracher l’esprit humain aux croyances sans fondement et aux préjugés qui nous viennent des siècles d’ignorance d’où nous sommes issus, il me paraît indispensable d’établir fortement l’impossibilité de la création ex-nihilo.

Ouvrez un de ces petits livres que doivent apprendre par cœur les enfants qui s’apprêtent à faire leur première communion : c’est le catéchisme, c’est-à-dire le résumé des Vérités fondamentales sur lesquelles repose toute la Doctrine catholique. À la première page, vous lirez cette question : « Qu’est-ce que Dieu ? » suivie de cette réponse : « Dieu est un Être éternel, infini, tout puissant, qui a fait toutes choses de rien. » Je vous abandonne le récit que nous fait la Genèse des conditions et de l’ordre dans lesquels Dieu créa le Monde en six jours. J’aurais évidemment beau jeu à éplucher ce récit et à en démontrer l’invraisemblance et les erreurs. Cette discussion ne serait ni dépourvue d’intérêt, ni dénuée de valeur ; car, somme toute, cet exposé de la création en six jours est contenu dans les Écritures. Les Écritures (ancien et nouveau Testament) nous sont présentées par l’Église comme contenant la parole de Dieu et, s’il est un point sur lequel le Créateur de toutes choses ne doit pas, ne peut pas se tromper, c’est certainement le récit de la création elle-même, puisqu’il en est l’auteur. Mais si je démontre que Dieu n’a pas créé, qu’il n’a pas pu créer, qu’il est absurde de croire au geste créateur, ne devient-il pas inutile de porter le débat sur les détails et circonstances de ce geste ? Ne deviendra-t-il pas évident que, s’il y a erreur ou mensonge sur la création elle-même, il y a, à plus forte raison, erreur ou mensonge, sur les conditions dans lesquelles cette création se serait accomplie ? Or, je dis que créer est impossible et qu’un être raisonnable ne peut pas admettre la possibilité du geste créateur.

Qu’est-ce que « créer » ? Définissons ce mot ; fixons-en clairement l’exacte signification. Que faut-il entendre par ce terme : créer ? Prendre des matériaux épars, séparés, les aller chercher ici et là, en saisir à droite et à gauche ; puis, en vertu de certains principes connus et en application de certaines règles expérimentées, les rapprocher, les grouper, les associer, les ajuster, de façon à en former un objet déterminé, est-ce créer ? S’emparer de certaines idées, impressions, souvenirs, bruits, images, couleurs, qu’on trouve, confus en un ou plusieurs cerveaux, pèle-mêle dans les livres et les musées ; puis comparer, associer, opposer ces divers éléments, de façon à en faire jaillir une idée nouvelle ou à en extraire une théorie ou une technique encore inédites est-ce créer ? Mettre de l’ordre dans ce qui est désordonné, introduire de la symétrie dans ce qui est chaotique, ranger sur une ligne droite ce qui est un indéchiffrable entassement de lignes qui s’entrecroisent, diriger vers un but précis et employer à une fin déterminée ce qui ne paraît avoir ni fin, ni but ; est-ce créer ? Non, cela n’est pas créer.

Le mot créer est un de ces termes dont, à la longue, on a copieusement abusé pour exprimer un tas de choses qui n’en sont pas moins totalement étrangères à l’idée qu’implique l’expression « créer ». Ne s’est-on pas avisé de dire d’un grand couturier ou d’une modiste réputée qu’ils ont créé tel modèle ou tel genre ? Qu’ont-ils fait ? Ils ont fouillé dans les archives, ils ont consulté les ouvrages de la partie, ils ont comparé, ils se sont inspirés des goûts récents, ils ont tenu compte des tissus et des ornements qui se marient le plus agréablement, ils ont supprimé ceci et introduit cela, ils ont ajouté ici et diminué là ; ils ont interrogé leur personnel et leur clientèle ; ils se sont renseignés sur le genre et le modèle qu’allaient lancer leurs concurrents ; ils ont fait des chiffres, afin de savoir quel serait le profit. Enfin, ils ont fait sortir de toutes ces opérations un genre ou un modèle. Peut-on dire qu’ils ont créé ? ― Non.

On a vu des comédiens, des cabots et des danseuses décorés pompeusement du nom de « créateurs », parce que les premiers avaient campé autrement que leurs prédécesseurs un personnage classique ou introduit dans le nouveau répertoire un type encore inédit, parce que les seconds avaient apporté sur la scène une mimique inconnue et les dernières un pas, un saut ou un balancement nouveaux. Peut-on dire qu’ils ont créé ? ― Non.

De tel savant, on a dit qu’il est le créateur de telle science ou de telle branche de celle-ci. Qu’a fait ce savant illustre ? Il a puisé dans les travaux et les recherches de ses prédécesseurs ; il a mis à profit les expériences, les investigations auxquelles se livrent ses contemporains ; il a multiplié les observations et les fouilles ; il a prolongé les résultats acquis ; il a bifurqué aux endroits où ses confrères s’étaient arrêtés et son labeur persévérant l’a mis un jour en face d’une possibilité nouvelle, d’un champ d’expérience inexploré. Il s’y est avancé le premier et il a attaché son nom à un procédé, à une méthode, à une particularité de la science. A t-il véritablement créé ? ― Non.

Tel homme d’État, placé à la direction d’un royaume ou à l’administration d’une république, a, pour consolider le pouvoir, étendre sa domination ou améliorer le sort de la population, ajouté une institution à celles qui existaient déjà ; il a supprimé un rouage de manipulation lente et massive et lui a substitué un rouage plus souple et d’effet plus rapide. On dit de cet homme d’État qu’il a créé ce rouage, cette Institution. Le terme est-il exact ? S’applique-t-il à l’opération dont il s’agit ? A-t-il véritablement créé la dite Institution ? Ne l’a-t-il pas plutôt et tout simplement fondée ?

C’est surtout lorsqu’il s’agit des artistes et des chefs-