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Les maisons de préservation peuvent être divisées en deux catégories : les prisons et maisons d’enfants. Elles ne sont point destinées à recevoir des enfants délictueux. C’est seulement à la demande des parents que les enfants sont détenus dans ces établissements. Quand des parents ne sont pas contents ou veulent pour de motifs mesquins se débarrasser de leurs enfants, ils vont au commissariat de police et, moyennant un versement de tant par jour (les sommes varient suivant la richesse des parents) ils font appréhender leurs gosses qui sont mis dans ces maisons jusqu’à ce que les parents les réclament ou cessent de payer la redevance. Dans le deuxième cas, si les parents déclarent se désintéresser de leur progéniture (il se trouve, hélas ! des pères et des mères assez dénaturés pour faire cela), les gosses sont placés dans les patronages.

Patronages religieux. ― Les prêtres, ces gens qui, à leurs dires, prêchent la loi d’amour, jouent un rôle prépondérant dans la répression de l’enfance.

À côté de leurs maisons de correction, ils avaient imaginé une combinaison très lucrative.

Quand un enfant échappé de ses parents était arrêté en état dit de « vagabondage » les prêtres demandaient au magistrat de leur confier l’enfant jusqu’à sa majorité, soi-disant pour lui apprendre un métier et pour le relever moralement. Et ils avaient monté de vastes établissements agricoles, en province, dans lesquelles ils exploitaient d’une façon atroce les petits malheureux qui leur étaient imprudemment confiés. Des scandales éclatèrent qui firent fermer bon nombre d’établissements, et depuis 1905 l’État ne leur confie plus de gosses. Alors ils trouvèrent autre chose, ils allèrent chez les parents pauvres et chargés de marmaille ou bien chez ceux qui étaient mécontents de leur enfant et ils leur demandèrent des gosses. Les garçons sont pour la plupart employés à l’agriculture, les filles dans les ouvroirs, et ce, jusqu’à leur majorité. La vie y est aussi infernale que dans les maisons de correction de l’État.

Patronages de l’enfance. ― Ceux-là sont l’invention de grands « philanthropes ». Au fur et à mesure que les scandales éclataient dans les patronages religieux, les soi-disant démocrates approfondirent le problème de l’enfance. Se servant d’appuis politiques, ils ne tardèrent pas à se voir autoriser à monter des œuvres similaires aux patronages cléricaux. Associés, ils créèrent des « œuvres pour le relèvement moral de l’enfance ». Puis une législation fut mise au point, qui créait les tribunaux pour enfants. Alors ce fut et c’est demeuré l’âge d’or pour ces individus.

Tous les délits, contraventions et crimes commis par des mineurs âgés de moins de seize ans (depuis on a étendu à dix-huit ans la limite), sont soumis à la juridiction spéciale du tribunal d’enfants.

Ce tribunal est composé d’un président et de deux juges assesseurs. Un substitut représente le Gouvernement. L’accusé a le droit de se faire défendre par un avocat ― mais en plus du tribunal correctionnel ordinaire, un sixième personnage entre officiellement en scène. C’est un avocat ou un représentant d’un patronage ou d’une œuvre de relèvement.

Après la plaidoirie et le réquisitoire, ce représentant se lève et demande (ce qui est toujours accordé sauf dans les cas graves) qu’on lui confie l’enfant jusqu’à sa majorité.

Et le tribunal pour enfants de la Seine est même présidé par M. Rollet qui est en même temps fondateur-président d’une œuvre qui porte son nom : le patronage Rollet.

En outre des enfants « confiés » par le tribunal, ces patronages acceptent aussi les gosses amenés par les parents.

Une fois l’enfant dans leurs mains, ils le laissent

quelque temps dans la « maison mère » où ils font des travaux pour le compte d’entrepreneurs civils. Si l’enfant travaille bien, qu’il est un peu malingre, ils le gardent là jusqu’à sa sortie. Il aura à subir le même régime que dans les maisons de correction de l’État, les mêmes punitions (moins la salle de discipline) et le même traitement alimentaire. Seulement, une fois par mois (s’il est sage) il pourra voir ses parents au parloir. Il gagnera environ quatre ou cinq sous par jour pour un labeur exténuant et malsain.

Autrement il sera placé chez des cultivateurs, dans une bourgade lointaine de province.

Là, il devra travailler dur et, sans souci de ses possibilités physiques, il devra exécuter du petit jour à la tombée de la nuit, les travaux les plus pénibles et les plus répugnants ; il subira toutes les vexations et même les mauvais traitements de maîtres qui n’ont nul besoin de se gêner ― il y a bien un inspecteur qui passe ou devrait passer tous les ans, mais si le gosse réclame il est considéré comme mauvaise tête et, en fin de compte c’est toujours lui qui aura tort.

Certes il pourra écrire à ses parents, mais le paysan lira les lettres avant de les envoyer.

Naturellement il sera aussi mal, sinon plus, que le sont d’ordinaire les petits valets de ferme.

Il touche un salaire de 100 francs par an, mais dessus il lui est retenu 60 % pour ses vêtements et sa nourriture.

S’il réussit à s’évader et s’il est repris, on l’envoie directement en colonie pénitentiaire ― quelles que soient les raisons qu’il puisse donner.

Cependant que les patronages touchent une redevance de l’État, plus une redevance du paysan.

Certaines de ces œuvres ― comme le patronage Julien ― sont montées par actions et distribuent en fin d’année des dividendes à leurs sociétaires.

Œuvres de relèvement moral de jeunes filles. ― Ces œuvres fonctionnent à peu près comme les patronages, à cette exception qu’elles ne placent pas chez des particuliers.

Montées de la même façon que les patronages, elles reçoivent leurs contingents des tribunaux d’enfants.

Seulement elles ont encore une « clientèle » spéciale ― mais ici il faut expliquer une monstruosité de la loi sur la répression de l’enfance.

En principe une jeune fille a le droit de quitter ses parents à quinze ans, à condition qu’elle mène une « existence sans reproche » et qu’elle puisse prouver qu’elle peut vivre de son propre travail.

Il en est toutefois autrement en vertu d’une « loi sur la protection de l’enfance » votée en 1912.

Une jeune fille quitte-t-elle ses parents sans les prévenir et ceux-ci, désolés et inquiets de ne la point voir revenir, vont-ils au commissariat faire part de leurs inquiétudes ? ― Si la jeune fille est retrouvée, on l’arrête et, sans prévenir les parents, on la fait comparaître devant le tribunal d’enfants qui la confie à une œuvre de relèvement jusqu’à sa majorité. Les parents protestent-ils ? On leur dit que leur démarche auprès du commissaire a été considérée comme un dépôt de leur enfant. Veulent-ils faire appel du jugement ? qu’ils sont incapables de surveiller « dignement ». Le procureur de la République leur apprendra que ce n’est pas un jugement mais une « décision » qui a été prise par le tribunal et qu’en conséquence leur instance en appel est irrecevable en droit.

J’ai eu, malheureusement, trop de preuves de cela apportées, alors que je faisais une enquête dans le Libertaire, par des parents indignés et désolés, mais impuissants, qui demandaient depuis de longs mois qu’on leur rendit leur fille sans qu’ils pussent obtenir gain de cause.