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propres salariés, donc pas salariés, disent les théoriciens du coopératisme.

Nous savons trop apprécier les méfaits d’un régime démocratique et centraliste pour ne pas dénoncer la phraséologie et le danger d’une telle doctrine, qui n’est que du collectivisme déguisé, où l’État se fait appeler Fédération des coopératives ou tout autre nom. Nous savons que ces salariés de tout le monde resteront des prolétaires exploités, que la hiérarchie avec ses privilèges et ses injustices existera ; que le parasitisme social actuel n’aurait ainsi fait place qu’à une nouvelle caste de dirigeants soi-disant compétents, compétents surtout en la façon d’extorquer les votes des Assemblées.

Si la coopération n’a pas l’influence morale et la puissance transformatrice et émancipatrice qu’elle devrait avoir, elle le doit surtout à cet esprit de centralisme et de démocratie, marque de l’arrivisme qui l’a déjà en partie châtrée de sa force idéaliste.

Un autre exemple, celui de l’Italie avec ses nombreuses, puissantes et actives sociétés coopératives de consommation, production et crédit, doit nous éclairer. La vague fasciste a tout balayé ! La violence des maîtres, en peu de mois, a détruit le résultat de longs et pénibles efforts d’organisation.

En réalité, le coopératisme porte en lui une saine notion d’organisation sociale meilleure, mais il doit se débarrasser des doctrines politiques et centralistes qui l’étouffent ; il doit surtout n’avoir confiance qu’en sa propre force autonome, faire l’appel le plus large aux initiatives locales en leur laissant l’intégrale liberté ; apprendre à ses membres à administrer eux-mêmes leurs affaires et non plus à déléguer le pouvoir à des représentants (toujours la même duperie). Le coopératisme doit aussi comprendre que la transformation graduelle et pacifique n’est point possible, et qu’il lui faudra un jour ou l’autre se mettre avec les forces révolutionnaires ou sombrer.

Merveilleux champ d’expériences et école de self-administration, le coopératisme doit surtout tenter de devenir une force d’émancipation, mettant les moyens matériels au service de la libération morale et intellectuelle.

L’homme n’est pas qu’un consommateur, il est aussi un producteur, un artiste, un savant, un amateur de toutes les sensations vitales. Vouloir faire prédominer un des côtés de la vie humaine sur les autres, c’est aboutir à une nouvelle tyrannie déguisée et un nouveau parasitisme. La vérité se trouvera dans une harmonie bien équilibrée des différentes sortes d’associations humaines : production, consommation, art, études, etc… ― Georges Bastien.


COOPÉRATIVES (SOCIÉTÉS) DE CONSOMMATION. n. f. Parmi les différentes formes de la coopération, celle dite de consommation a pris un énorme développement, une ampleur considérable qu’aucune attaque ni événement n’ont pu entraver. La guerre même, la révolution russe, loin d’être une cause de crise du mouvement coopératif de consommation, ont été des stimulants et ont contribué à une prodigieuse extension de ces coopératives.

Alors que la coopération de production piétine sur place ou progresse lentement, que la coopération de crédit ou agricole se restreint à la petite bourgeoisie, celle de consommation marche à pas de géant et conquiert rapidement tous les pays, pénétrant jusque dans les campagnes.

En 1925, l’on compte plus de vingt millions d’adhérents à ces coopératives et le chiffre d’affaires dépasse dix milliards de francs.

Les causes en sont assez simples à saisir.

Tout d’abord, le capital exigé est relativement faible. Avec un capital représentant la valeur de quinze jours de travail de ses membres, une coopérative de consommation peut subsister. Les compétences nécessaires sont également faibles : ordre, méthode, comptabilité, aptitudes commerciales d’ailleurs facilitées dès que la société prend de l’extension, les offres venant se présenter.

Chacun pouvant devenir coopérateur sans effort, le recrutement a été aisé, même dans les tout petits centres.

Mais le grand avantage de la coopérative de consommation est incontestablement d’avoir pris la place de l’intermédiaire, du commerçant. En effet, toute la charge que font peser les privilèges sur la population, peut se situer dans l’exploitation, le prélèvement qui prend cours depuis le moment où l’ouvrier produit la marchandise et celui où le consommateur en prend livraison. Tous les prélèvements capitalistes ou étatistes ont lieu entre ces deux moments. Les profits ainsi prélevés étant énormes, toute association de consommateurs se substituant au commerçant a la partie belle. On peut même plutôt s’étonner que les bénéfices réalisés par les consommateurs coopérateurs soient si peu élevés. C’est à un vice d’administration qu’ils le doivent.

Le but de la coopération de consommation est la suppression du bénéfice au profit commercial, et l’établissement du juste prix de vente, c’est-à-dire du prix exact de revient majoré des frais généraux et de transport. Tout prix supérieur à ce total laisse une marge appelée le profit commercial, que les coopératives de consommation veulent supprimer.

Suivant l’exemple et la théorie fournis par les pionniers de Rochdale, tisseurs, qui fondèrent en 1843 une coopérative de consommation, les coopératives vendent à un prix égal ou légèrement inférieur à celui du commerce, mais tous les ans ou tous les six mois, reversent aux coopérateurs le trop perçu, sous le nom de ristourne, boni et, après certains prélèvements pour des œuvres sociales, pour les réserves, amortissements, développements, etc…

Il y a une infinité de nuances sur l’emploi de ce trop-perçu. Certaines coopératives, plus véritablement dénommées ligues d’acheteurs, vendent au strict prix de revient, majoré des frais généraux. Mais elles ne progressent pas, n’ayant point de réserves, étant à la merci des crises économiques.

D’autres, comme en Belgique, soutiennent la politique d’un parti (la coopérative est alors la vache à lait des politiciens). D’autres, comme à Saint-Claude (Jura) laissent tout le trop-perçu pour des œuvres sociales, hygiéniques, éducatives, etc…

Cette question est très controversée, mais la majorité des sociétés distribuent aux coopérateurs une partie des trop-perçus, réservant une fraction pour le développement de la coopération ou pour certaines œuvres sociales.

La constitution de réserves promet aux coopératives de se libérer peu à peu du capital, de former ainsi un capital collectif, inaliénable, sorte de bien de main morte, collective, mais active, qui leur permet d’envisager leur développement, de viser à la production dans des usines leur appartenant, de créer des œuvres d’intérêt général, bref tout un programme social.

Mais, il faut bien le dire, sauf quelques exceptions, les tentatives d’organiser la production ont donné peu de résultats, par suite de causes diverses, dont la plus importante est le maintien du salariat dans les usines coopératives.

Trop exclusives, les coopératives de consommation n’ont su ni voulu résoudre cet important problème du salariat, dans leur propre sein, et se sont heurtées à