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Raiffaisen et Schulze Delitsch qui, en Allemagne, créèrent le mouvement coopératif de crédit.

Le premier socialisme fut tout imprégné le cette idée de la coopération. Mais la résistance ouverte ou déguisée de la bourgeoisie, et l’inexpérience des fondateurs, furent les causes de nombreux échecs : Les événements politiques et révolutionnaires détournèrent ce courant et l’amenèrent, soit vers la politique, soit vers la préparation d’une l’évolution. La coopération continua son chemin, mais avec des éléments bourgeoisants.

La coopération de consommation s’est beaucoup développée ; les sociétés, éparpillées dans tous les pays, se chiffrent par dizaines de milliers, les adhérents par millions, et les affaires par milliards.

Les coopératives de production exigeant des capitaux, de la compétence, une clientèle et surtout une plus haute moralité, ont eu plus de peine à progresser, et leur développement se fait lentement. S’écartant trop de la cause du peuple, donnant trop l’apparence d’un moyen de débrouillage pour quelques-uns plutôt que d’une forme nouvelle de la production, ce qui serait pourtant leur force et leur valeur, elles n’ont pas su créer un mouvement populaire puissant.

Sous une forme atténuée, et plus réalisable actuellement, la coopération de production a eu plus de succès sous les modalités de coopératives de main-d’œuvre, appelées différemment suivant les pays ; commandites en France ; ghildes en Allemagne, Autriche ou Angleterre ; braccianti en Italie ; artels en Russie, etc…

Cette forme nouvelle de la coopération a peut-être pour elle l’avenir. Elle évite les difficultés de l’association remplaçant le patronat et sujette à prendre les vices de la société bourgeoise, en procurant des privilèges à ses membres au détriment du bien-être général. Elle cadre mieux avec l’idée d’un régime social où des associations autonomes de production, s’administrant à leur guise, auraient pour fonction de satisfaire à tel besoin particulier de la communauté, sans pouvoir spéculer sur leur situation spéciale, ni créer un autre genre de propriété. Harmonisant leurs efforts avec ceux des organes de répartition (coopératives de consommation, logement, instruction, art, etc.), et fondues dans la commune libertaire, la commune de l’avenir, elles peuvent former la base économique de ! a société de demain, organisme assez souple pour évoluer rapidement et pacifiquement vers le communisme intégral, suivant l’évolution des mentalités ; en tous cas système pratique de reconstruction sociale applicable le jour même de l’expropriation de la bourgeoisie par une révolution triomphante.

La coopération agricole fait aussi beaucoup de progrès. Malheureusement, ce ne sont guère que les petits propriétaires qui l’utilisent, la masse des prolétaires paysans restant en général trop dispersée. De nombreux syndicats agricoles ont été créés et prospèrent. On leur doit surtout la hausse des denrées agricoles. Mais ce principe d’association pour la culture, de la coopérative de village, est plein de promesses pour l’avenir. C’est la forme toute trouvée du travail agricole. Il suffira d’y amener les prolétaires des champs et les petits cultivateurs. L’idée a d’ailleurs pénétré les campagnes, Nos militants n’auront qu’à la développer.

Une autre forme de la coopération est celle du crédit, tant préconisée jadis par Proudhon, très développée aujourd’hui en Allemagne, Suisse, et l’Europe centrale ; fonctionnant en France sous le nom de caisses rurales. Jouissant de la faveur et du soutien pécuniaire des États, cette modalité de la coopération a surtout favorisé la petite propriété agricole, la petite industrie, le petit commerce. Elle est peu intéressante à notre point de vue.

Il y a aussi des coopératives de construction (Angle-

terre, Amérique, etc…), mais ce sont plutôt des associations de petits propriétaires ou aspirant à l’être, et le sujet d’exploitations éhontées.

En résumé, un fort courant vers la coopération se développe dans toutes les parties du monde. La coopération s’avère une nouvelle forme sociale se substituant au régime capitaliste, et plus conforme aux besoins et à la mentalité modernes.

S’en désintéresser est une erreur. Ne pas voir les possibilités qu’elle présente est une faute.

Dans le mouvement coopératif, les anarchistes ont une large tâche à accomplir : combattre les politiciens, arrivistes et centralistes, inculquer l’idéal libertaire et faire entrevoir aux adhérents que la société dont ils font partie, s’ils veulent lui garder son indépendance et son idéal, peut-être une des pierres de la fondation de l’édifice social de demain. — Georges Bastien.


COOPÉRATISME. n. m. Tout mouvement qui se développe finit par trouver sa théorie, sa base doctrinale. Quoique née spontanément, de mobiles divers, et s’affiliant plus ou moins directement au fouriérisme, à l’owenisme, au saint-simonisme, et autres doctrines du début de la période socialiste, la coopération a fini par trouver ses théoriciens qui ont naturellement établi les bases d’une organisation sociale idéale sur les coopératives existantes, se développant graduellement, et envahissant progressivement tout le champ social.

Le mouvement coopératif de production agricole, composé surtout de petits propriétaires, n’a guère d’idéal social, cela se conçoit, pas plus que celui des caisses de crédit coopératives.

Longtemps, les coopératives de production se réclamèrent d’un idéal de transformation sociale, mais leur petit nombre et leur peu d’influence ne leur a guère permis de sortir des considérations générales, et de tracer un programme positif d’ensemble.

Du mouvement coopératif de consommation devait sortir la doctrine la plus complète et la plus ambitieuse.

Les ouvrages de Charles Gide et surtout la République coopérative d’E. Poisson, ont donné corps à cette doctrine coopératiste, et, à de peu nombreuses exceptions près, sont aujourd’hui acceptées par le mouvement coopératiste en général.

Ainsi compris, le coopératisme est du plus pur réformisme ; mais, si l’on peut dire, du réformisme d’action directe, et non étatiste ; c’est la substitution pacifique des organismes coopératifs au régime économique bourgeois.

Le coopératisme vise tout d’abord à l’abolition du profit commercial, qui reste aux coopératives, est réparti en partie aux coopérateurs, et l’autre partie sert à constituer un capital social collectif.

Par ce capital social collectif, le coopératisme agrandira son rayon d’action, pénétrant partout, et dans tous les domaines. Après avoir canalisé la consommation, il entreprendra les transports et ensuite la production jusqu’à ce qu’il soit devenu la seule organisation économique existante.

Le capital, réduit à la portion congrue d’un intérêt fixe d’abord, puis éliminé progressivement, grâce à l’accumulation des réserves collectives, deviendra inutile et disparaîtra.

Le coopératisme aura ainsi, éliminé les sources du profit commercial et capitaliste au bénéfice des consommateurs, c’est-à-dire de tous. Une sorte de république coopérative (c’est le nom donné) sera instituée et les citoyens consommateurs associés régiront toute la vie sociale au moyen d’un système démocratique calqué sur le parlementarisme. Tous les producteurs deviendront les salariés de la collectivité, donc leurs